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Gazprom va se doter d’une milice paramilitaire

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Symbole de l’importance du gaz naturel, et de son fleuron Gazprom, dans sa stratégie géopolitique et militaire, la Russie de Vladimir Poutine a autorisé, selon les services secrets ukrainiens, le groupe d’État gazier à disposer de sa propre milice paramilitaire privée. La loi russe permet en effet aux opérateurs d’hydrocarbures de disposer d’une telle force militaire. L’Ukraine craint de voir cette nouvelle milice privée agir avec la même redoutable efficacité que le groupe Wagner, y compris sur le sol ukrainien.

Une armée privée contrôlée par Engie ou TotalEnergies ? Cela pourrait sembler, au choix, absurde, dangereux ou inquiétant – voire les trois à la fois. C’est pourtant ce que la Fédération de Russie vient d’autoriser, par la main de Mikhaïl Mishustin, son chef du gouvernement, le 4 février 2023.

Le chef du gouvernement de la Russie autorise Gazprom à former sa propre milice privée

Cet ordre signé par Mikhaïl Mishustin a été intercépté par les services secrets ukrainiens, puis partagé par le ministère ukrainien de la Défense sur les réseaux sociaux. Il a rapidement fait le tour du monde, et a été amplement commenté. L’ordre accorde en effet « à la société par action publique Gazprom Neft le droit de créer une organisation de sécurité privée ».

La société contrôlant cette « organisation » – une milice privée – est contrôlée à 70 % par Gazprom, et à 30 % par la société de sécurité privée Staff-Center. Son but officiel est de pouvoir défendre les infrastructures gazières de Gazprom, en Russie et dans le monde.

Après tout, la thèse officielle défendue par le Kremlin au sujet des explosions ayant frappé les gazoducs Nord Stream 1 et 2 est celle d’un sabotage commandité par les États-Unis. Et Moscou communique régulièrement sur les risques pesant sur ses infrastructures énergétiques, notamment gazières.

Les armées privées sont officiellement interdites en Russie… sauf pour les groupes énergétiques

Officiellement, les milices privées sont interdites en Russie. Mais de nombreux groupes de ce type existent sous statut particulier, en lien avec un ministère par exemple, comme celui de la Défense pour le tristement célèbre groupe Wagner.

Dans le cas de Gazprom, pas besoin d’acrobaties réglementaires. En effet, depuis 2007, la « loi fédérale sur la sécurité des installations complexes de combustibles et d’énergie» autorise les entreprises russes du secteur des hydrocarbures à créer une organisation militaire privée. Il leur faut pour cela l’aval du gouvernement. Ce qu’a obtenu Gazprom.

Gazprom, un acteur majeur de la géopolitique russe

Le groupe gazier a déjà un rôle-clé dans les manœuvres géopolitiques de la Fédération de Russie : les livraisons aléatoires de gaz fossile vers l’Union européenne ont rythmé l’année 2022, et ont permis de mettre au bord de la faillite plusieurs géants du secteurs, notamment en Allemagne.

Et quand, à deux mois des élections législatives bulgares du 2 avril 2023, des enquêtes ont été lancées contre deux anciens ministres de l’ex-premier ministre europhile Kiril Petkov et contre l’ex-président de Bulgargaz, pour avoir refusé de payer le gaz de Gazprom en roubles, provoquant la rupture de l’approvisionnement de la Bulgarie, les soupçons se dirigent naturellement vers Moscou.

« Le fond de l’accusation est que la Bulgarie a refusé d’obéir au chantage russe. Devinez qui en est mécontent et pourquoi. La Bulgarie est un pays européen et, en tant que tel, elle coordonne toutes ses actions avec l’UE ! Et s’ils ont oublié… la Bulgarie a été déclarée ennemie par un autre pays ! », a commenté l’un des mis en cause, l’ex-ministre de l’Énergie Alexander Nikolov.

L’Ukraine dénonce une « course aux armements »

Les autorités ukrainiennes ont réagi vigoureusement à la création de cette milice privée par Gazprom. « La course aux armements se poursuit dans la Fédération de Russie entre les principaux acteurs politiques, qui s’emploient activement à créer des armées privées, à l’instar de la SMP Wagner de Evgueni Prigojine », indiquent les autorités ukrainiennes.

Kiev craint ouvertement que "l'armée" levée par Gazprom ne puisse intervenir au-delà de ses champs de compétence pour assurer sa sécurité, y compris pour participer à la guerre en Ukraine.

Au moins 27 milices privées en Russie, dont 11 présentes en Ukraine

Cette peur est légitime : la Russie compte en effet au moins 27 armées privées, en plus de l’armée régulière. Si la plus connue est le groupe Wagner, ses 50 000 hommes et ses actions en Afrique ou en Ukraine, celle du tchétchène Ramzan Kadyrov, un proche de Vladimir Poutine, compte environ 12 000 hommes.

Une autre, la Croix de Saint-André, se présente comme une unité religieuse, défendant l’orthodoxie, et qui a reçu la bénédiction du patriarche orthodoxe Kirill. Plusieurs autres de ces milices privées comptent plusieurs milliers d’hommes.

En tout, au moins 11 d’entre elles seraient présentes en Ukraine. Ce serait notamment le cas de la toute nouvelle unité du ministre de la Défense, Serguei Choigu, la Patriot Private Military Company (PMC), qui aurait été repérée dans le Donbass.

Avec Gazprom, Vladimir Poutine s’assure d’une armée privée aux ordres

Ces milices permettent souvent au Kremlin de réaliser des bases œuvres, en se dédouanant puisqu’il n’a aucun lien direct avec la plupart de ces groupes. Leurs relations avec l’armée régulière sont parfois problématiques : si elles sont souvent utilisées comme troupes d’élite, comme support à des offensives, ou pour des opérations spéciales, elles sont assez peu appréciées du soldat moyen.

Leur multiplication peut être analysé comme une militarisation croissante du pouvoir en Russie, avec un besoin du Kremlin de disposer d’unités bien payées, bien formées, efficaces et impitoyables. Mais leur nombre croissant pourrait aussi indiquer une forme de crainte des dirigeants politiques, militaires ou économiques. Disposer de sa propre armée peut dissuader un rival de s’en prendre à vous.

Tant que ces groupes restent, directement ou indirectement, sous le contrôle du Kremlin, ils ne mettent pas en cause la stabilité du régime de Vladimir Poutine. Avec Gazprom, il s’assure en tout cas un allié fidèle, le groupe gazier n’ayant aucun intérêt à faire sécession.

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