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Chine-Russie : les liaisons (gazières) dangereuses

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Dans la foulée de la visite du président chinois Xi Jinping à Moscou, notamment pour y rencontrer son homologue Vladimir Poutine, les autorités russes ont fait plusieurs déclarations sur les exportations de gaz fossile russe vers la Chine. D’abord pour se féliciter d’un record de volumes exportés, puis pour indiquer que le contrat préalable à la construction du gazoduc Force de Sibérie 2, qui doit plus que doubler les capacités de transport gazier entre les deux pays, devrait être signé d’ici la fin de l’année. L’enthousiasme et l’optimisme du gouvernement russe tranchent avec les positions beaucoup plus tièdes de la Chine, qui semble hésiter, dans le contexte actuel, à formaliser un accord d’ampleur avec Moscou.

L’Europe était le débouché historique du gaz fossile exploité en Russie. La guerre qui fait toujours rage en Ukraine a progressivement réduit le volume des exportations russes vers le Vieux continent, par mesure de rétorsion plus ou moins déguisées du Kremlin aux sanctions occidentales (qui n’ont jamais touché, et ne touchent d’ailleurs toujours pas le gaz).

Pour trouver des débouchés à son gaz, la Russie regarde vers l’Est, et particulièrement vers la Chine

Et si l’explosion des prix du gaz ainsi qu’un recours maximum au GNL ont permis à Moscou de limiter l’impact financier de la baisse de ses exportations par gazoduc, la Russie a besoin de nouveaux débouchés pour son gaz, et vise en particulier la Chine, premier importateur mondial de gaz fossile.

Les deux pays sont déjà liés depuis 2019 par un gazoduc de 2 159 km, construit et opéré par Gazprom, en partenariat avec la China National Petroleum Corporation (CNPC), baptisé Force de Sibérie (Sila Sibiri  en russe), entre le gisement de Tchaïandina en Iakoutie, dans le nord-est de la Sibérie, et Heile, dans l'extrême nord-est de la Chine.

Son importance stratégique est bien illustrée par une déclaration de Gazprom, le 21 mars 2023, durant la visite du président chinois Xi Jinping à Moscou : le géant gazier a indiqué avoir « établi un nouveau record historique d’approvisionnement quotidien en gaz vers la Chine », la veille, sans pour autant révéler les volumes livrés.

Le gazoduc Force de Sibérie, « affaire du siècle » pour Vladimir Poutine

La montée en puissance des capacités de Force de Sibérie se confirment : après 10 milliards de m³ en 2021, Gazprom a exporté vers la Chine 15,5 milliards de m³ par ce gazoduc en 2022 : le vice-Premier ministre russe en charge de l’Energie, Alexandre Novak, prévoit des volumes de 22 milliards de m³ en 2023.

Le gazoduc doit atteindre son plein régime en 2025, avec un maximum de 38 milliards de m³ exportés vers la Chine (sur une capacité totale de 61 milliards de m³, le reste étant destinée à alimenter des stations de GNL sur le trajet). Les douanes chinoises ont indiqué que la Russie a exporté vers la Chine 2,7 milliards de mètres cubes de gaz naturel et GNL en janvier 2023.

Le 19 mars 2023, Vladimir Poutine a d'aukkeyrs qualifié le gazoduc Force de Sibérie d'« affaire du siècle ». Fin décembre 2022, le président russe a inauguré un nouveau champ gazier en Sibérie, à Kovykta, destiné essentiellement à l’exportation vers la Chine.

Le projet de gazoduc Force de Sibérie 2 ajouterait 55 milliards de m³ annuel de capacité d’export de gaz vers la Chine

Mais Force de Sibérie et (secondairement) le GNL ne forment que deux des trois piliers de la volonté russe d’ouverture vers la Chine. Le troisième, qui est à la fois le plus stratégique et le plus problématique, est un second gazoduc. Baptisé Force de Sibérie 2, il doit partir de l’ouest de la Sibérie (et non de l’est, comme le premier du nom).

Ce projet pharaonique doit relier le champ sibérien de Tchaianda à la région du Xinjiang, dans l’Ouest de la Chine, et se raccorder ainsi au massif gazoduc Ouest-Est, qui approvisionne toute la Chine. Le gazoduc couvrirait en tout 6 700 km dont 2 400 km sur le territoire de la Russie, pour une capacité approchant les 50 milliards de m³ par an.

Il porterait donc les capacités d’exportation vers la Chine par gazoduc à 88 milliards de m³ annuels. En septembre 2022, Alexandre Novak avait indiqué voir dans Force de Sibérie le « remplaçant » à Nord Stream 2, le gazoduc vers l’Allemagne d’une capacité de 55 milliards de m³, jamais entré en service, et désormais hors service, suite au sabotage conjoint dont il a été victime, en même temps que Nord Stream 1.

Les responsables russes affichent leur optimisme pour la réalisation de ce projet

Ce projet est d’ailleurs le fer de lance des déclarations optimistes de la Russie sur son avenir commercial sans l’Union européenne. Déjà, en septembre 2022, Alexandre Novak annonçait qu’un accord de construction entre Gazprom et CNPC était dans les tuyaux.

Face à la presse, en marge de sa rencontre avec Xi Jinping, ce 21 mars 2023, Vladimir Poutine a fait preuve du même enthousiasme, affirmant que « tous les accords avaient été conclus » entre les deux pays.

Deux jours plus tard, Alexandre Novak enfonçait le clou. « Actuellement, la coordination finale des termes du contrat entre Gazprom et la société chinoise CNPC est en cours. Une étude de faisabilité est en cours, (tout comme) la conception du tracé du gazoduc à travers la Mongolie », affirmait le ministre de l’Energie, le 23 mars 2023.

Assurance russe, tiédeur chinoise

« Nous espérons, nous sommes persuadés que notre société atteindra un accord d’ici la fin de l’année et signera le contrat », a-t-il même assuré. « Les négociations sur la préparation de l’accord se trouvent au stade final », a-t-il ajouté.

Ces prises de position représentent clairement l’objectif de Moscou, et le message que le Kremlin veut faire passer à l’international, notamment face à l’Occident. Mais, coté chinois, le ton est beaucoup moins assuré, voire franchement tiède.

Malgré l'optimisme de Vladimir Poutine devant les caméras, la déclaration conjointe finale cosignée avec Xi Jinping se contente d’encourager les « recherches et les consultations » sur Force de Sibérie 2. Aucun responsable chinois n’a jamais pris aucun engagement formel sur ce projet, et malgré l’optimisme russe, la donne n’a pas changé.

La Chine et la Russie, un bloc anti-Occident ?

Certes, la Chine et la Russie sont, économiquement et diplomatiquement, plutôt alliés. Ils se retrouvent sur des positions d’opposition à l’Occident, et usent régulièrement de leur droit de veto au Consil de écurité de l'ONU sur des sujets sensibles pour l’un des deux pays. Pékin n’a ainsi pas condamné l’invasion de l’Ukraine, et a appelé l’Occident à limiter ses sanctions contre Moscou.

Mais la Chine ne veut pas non plus peser de tout son poids en faveur de la Russie. D’abord parce que les deux pays s’opposent pour des questions de leadership régional asiatique, ou en Afrique où ils tentent de développer leur influence. Les nouvelles routes de la Soie chinoises visent par exemple explicitement à court-circuiter les routes commerciales terrestres passant par la Russie.

Au-delà, si la Chine est devenue le premier partenaire économique de la Russie, avec les sanctions européennes et l’effondrement de de ses échanges avec le Vieux continent, la Russie n’est que le douzième partenaire économique de la Chine.

La dépendance économique de la Chine à l’Occident l’invite à la prudence

En 2018, les échanges commerciaux de la Chine avec les États-Unis atteignaient 583,3 milliards de dollars US, 573 milliards de dollars avec l’Union européenne, 514,3 milliards de dollars avec les dix pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (dont plusieurs alliés de l’Occident), 303 milliards de dollars avec le Japon et 280,2 milliards  avec la Corée du Sud. Avec la Russie, ils plafonnaient à 84,2 milliards de dollars.

Et la dureté des sanctions qui ont frappé la Russie peut servir d’avertissement pour Pékin : économiquement, le pays dépend fortement de ses partenaires commerciaux occidentaux, bien plus que la Russie.

Si, idéologiquement, la Chine est bien proche des positions du Kremlin, elle ne peut prendre le risque de se couper brutalement de l’Occident. Et elle a beaucoup moins besoin de la Russie que cette dernière n’a beoin d’elle. D’où cette légitime prudence.

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