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BarMar sans gaz fossile, victoire stratégique de la France, ou pur greenwashing ?

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Ce 9 décembre 2022, les dirigeants de la France, de l’Espagne et du Portugal ont officiellement lancé le futur gazoduc offshore BarMar, qui doit relier l’Espagne et la France. Prévu à l’origine en remplacement de MidCat, et destiné à transporter « temporairement » du gaz fossile, il devrait finalement être dédié à 100 % à l’hydrogène, et devrait entrer en service en 2030, pour un budget de 2,5 milliards d’euros. Si le court-circuitage complet de l’Allemagne semble une belle victoire pour la diplomatie énergétique française, BarMar interroge sur sa capacité à vraiment transporter de l’hydrogène à cette date. Et rien ne garantit que, en situation d’urgence, il ne serve pas, finalement, à acheminer du gaz fossile depuis l’Espagne, comme prévu originellement…

Un coup de billard à douze bandes, voire plus, pour passer de la demande allemande de relancer MidCat, au coeur d’un été 2022 qui voyait le gaz russe disparaître de Nord Stream (et allait conduire notamment à la chute d’Uniper), au lancement officiel de BarMar, un gazoduc offshore 100 % hydrogène, ce 9 décembre 2022 à Alicante, par le président de la République française Emmanuel Macron et les chefs du gouvernement espagnol et portugais, Pedro Sánchez et Antonio Costa.

La relance de MidCat court-circuitée par le projet BarMar

MidCat (pour Midi-Catalogne) était un projet de gazoduc trans-pyrénéen destiné à transporter du gaz fossile, abandonné en 2019 pour des raisons économiques et écologiques. Durant l’été 2022, le chancelier allemand Olaf Scholz évoque la possibilité de relancer ce projet : si cette infrastructure avait été opérationnelle cette année, elle aurait permis à l’Allemagne de se fournir en GNL livré dans les ports espagnols.

Sa proposition est soutenue par l’Espagne et le Portugal, moins par la France. La diplomatie française opère alors en sous-marin, et finit par sortir de son chapeau un nouveau projet, baptisé BarMar (Barcelone-Marseille), un gazoduc offshore, prévu pour une livraison en 2030, et fruit d’une coopération entre la France, l’Espagne et le Portugal, excluant de fait l’Allemagne du processus.

Entre gaz fossile et hydrogène bas-carbone

BarMar est immédiatement présenté comme destiné à terme à transporter de l’hydrogène vert (produit par électrolyse de l’eau via de l’électricité renouvelable), mais pouvant, à titre transitoire, transporter du gaz fossile dans ses premières années d’exploitation.

Le projet jouait ainsi sur les deux tableaux : renforcer les interconnexions gazières fossiles dans l’Union européenne (dans un contexte où il semble très improbable que la Russie redevienne un fournisseur stable de gaz pour l’Europe, et en particulier pour l’Allemagne), et avancer vers les énergies bas-carbone.

Fin octobre 2022, l’Elysée indique d’ailleurs que d'autres gaz renouvelables, « ainsi qu'une proportion limitée de gaz naturel comme source d'énergie temporaire et transitoire », pourraient circuler dans BarMar. Une limite de 15 % de gaz fossile est évoquée.

Pour les financements européens, BarMar devient H2Med, et abandonne le gaz fossile

Mais, lors de la présentation du projet par les chefs d’État français, espagnol et portugais, ce 9 décembre, toute mention au gaz fossile avait disparu. Le gazoduc avait même changé de nom, devenant H2Med (pour dihydrogène et Méditerranée), et ne transportera pas, c’est promis, la moindre particule de gaz fossile.

Antonio Costa, le Premier ministre portugais, indique que ce renoncement aux fossiles est indispensable pour que l’Union européenne puisse déclarer le gazoduc "projet d'intérêt commun" : un dossier dans ce sens est déjà à l’étude, et devrait être étudié par les autorités européennes d’ici la fin de l’année, selon Emmanuel Macron.

Sur les 2,5 milliards d’euros de budget du gazoduc, les fonds européens pourraient ainsi en financer la moitié, soit 1,2 milliards d’euros, le reste étant avancé par des banques et à la charge des futurs consommateurs d’hydrogène, sous des modalités à définir. Trois tracés sont encore en balance, mais l’un d’eux, d’une longueur de 455 km et d’une profondeur sous-marine maximale de 2 557 mètres, est donné favori.

Autonomie stratégique

Le gazoduc devrait, à sa mise en service en 2030, pouvoir transporter deux millions de tonnes d'hydrogène bas-carbone par an, soit 10% de la consommation européenne à cette date, essentiellement de l’hydrogène vert, produit par l’électricité des éoliennes et panneaux photovoltaïques ibériques, et acheminé ensuite dans le Nord de l’Europe.

La France pousse pour qu’il serve également à acheminer de l’hydrogène « rose », produit avec de l’électricité nucléaire (également bas-carbone), de l’Hexagone vers l’Espagne.

« Réduire nos émissions pour protéger notre climat, fournir à nos territoires une énergie propre pour réindustrialiser et renforcer notre autonomie stratégique, voilà les objectifs que nous visons avec le projet H2Med, première étape d’un grand réseau européen d’hydrogène », a déclaré durant la cérémonie Emmanuel Macron.

Vers « une vraie dorsale européenne de l'hydrogène »

Présente à ses cotés, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a « salué chaleureusement » le lancement de ce projet qui va aider l'UE à « bâtir une vraie dorsale européenne de l'hydrogène ». « La péninsule ibérique est en passe de devenir un des hubs majeurs de l'énergie en Europe. Et l'Union européenne participera à cette success story », complète-t-elle.

Un sommet bilatéral entre la France et l’Espagne, ce 19 janvier 2023, devrait permettre d’avancer encore vers ce projet. Reste à savoir, toutefois, si les promesses seront tenues.

Certains analystes estiment en effet que l’objectif européen de consommer 20 millions de tonnes d’hydrogène bas-carbone en 2030, dont la moitié produit localement, est parfaitement irréaliste.

BarMar ne deviendra probablement pas un Babar blanc

Et que se passera-t-il si, en 2030, l’Allemagne manque cruellement de gaz fossile et que la production ibérique d’hydrogène bas-carbone est loin des objectifs ? La tentation d’utiliser BarMar pour transporter du gaz fossile pourrait être grande, ce que dénoncent plusieurs associations environnementales.

Pour autant, produire de l’hydrogène bas-carbone semble indispensable pour atteindre un objectif de neutralité carbone de l'Union européenne, que ce soit pour décarboner les multiples usages industriels actuels de l’hydrogène (et qui utilisent presque exclusivement de l’hydrogène produit à l’aide de gaz naturel ou de charbon, avec un impact carbone désastreux) que pour des usages émergents, dans le transport et l’industrie notamment.

Peu de risques donc, que ce H2Med (ou BarMar) devienne à terme un « éléphant blanc » (donc un "Babar blanc")de la transition énergétique européenne : s’il ne transporte que peu d’hydrogène en 2030, la donne changera sans doute très rapidement.

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