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Qatar Energy intègre le consortium chargé d’exploiter le gaz offshore du Liban

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Le 29 janvier 2023, Qatar Energy a officialisé, dans une médiatique cérémonie à Beyrouth, sa prise de participation de 30 % dans le consortium chargé d’explorer et d'exploiter les blocs gaziers 4 et 9 au large du Liban. Les présidents de deux autres membres du consortium, le français TotalEnergies et l’italien Eni, étaient présents. Cette démonstration publique symbolise la volonté du Qatar d’avancer ses pions au Liban et, plus globalement, de s’imposer comme un acteur économique et diplomatique de premier plan.

Le Qatar est bien connu pour ses réserves gazières, qui en font une pièce déterminantes de l’échiquier énergétique mondial, notamment vers l’Occident et la Chine. Le pays use et abuse également du soft power, notamment dans le domaine sportif (organisation de la Coupe du monde de football, achat du Paris-St-Germain…), pour renforcer son image à l’international.

Le Qatar tisse sa toile diplomatique, et ses liens avec le Liban illustre parfaitement sa doctrine

Mais il est aussi en train de s’imposer comme un partenaire économique majeur pour des États relativement pauvres, tout en développant sa toile diplomatique, avec la volonté de devenir un partenaire régional incontournable, et un agent de négociation entre des pays aux relations rompues.

Les liens que le Qatar noue avec le Liban depuis plusieurs mois combinent l’ensemble de ces approches. Début 2022, l’émirat a ainsi fait un don de 60 millions de dollars à une armée libanaise en manque criant de ressources.

Un rôle discret mais réel dans les négociations du Liban avec Israël sur la frontière maritime

Puis, à l’automne 2022, durant les négociations portant sur l’élaboration des frontières maritimes entre Israël et le Liban, un dossier hautement explosif entre deux pays toujours officiellement en guerre, mais souhaitant pouvoir exploiter leurs champs gaziers offshore (prouvés pour Israël, postulés pour le Liban), le Qatar a joué un rôle discret mais réel.

Le pays n’a pas officiellement participé aux discussions, menées sous l’égide de l’ONU et des États-Unis, mais il a accueilli plusieurs acteurs impliqués dans les échanges, dont le médiateur américain Amos Hochstein et l'ex-ministre de l'Energie libanais Gebran Bassil (qui vise ouvertement la présidence du Liban), leur permettant de discuter de manière informelle dans la sécurité feutré des palais qataris.

L’accord, signé fin octobre 2022 par les gouvernements libanais et israélien, a permis de mettre fin au contentieux, en accordant la totalité du champ gazier de Karish à Israël, et l’exploitation de celui de Cana au Liban, même si une partie du gisement potentiel demeure dans les eaux israéliennes : le possible exploitant de ce champ devra indemniser Israël.

Le Liban veut lancer l’exploitation de ses champs gaziers, mais fait face à la défection du russe Novatek

Dès l’annonce de l’accord, l’exécutif libanais a indiqué vouloir mettre les bouchées doubles pour lancer l’exploration de ces potentiels champs gaziers. Seule ombre au tableau : le consortium chargé de ces blocs 4 et 9 avait perdu en août 2022 un de ces trois participants, le russe Novatek.

Ce dernier, qui possédait 20 % des parts de la coentreprise, a choisi de se retirer pour des raisons « économiques et financières » et des « risques politiques ». Les autres parts étant détenues à 40 % chacun par le français TotalEnergies et par l’italien Eni, la collaboration avec un groupe russe, dans le contexte de la guerre en Ukraine et des tensions entre le Kremlin et l’Occident, semblait délicate.

Une grande cérémonie à Beyrouth pour annoncer l’entrée de Qatar Energy dans le consortium

Depuis plusieurs semaines, des rumeurs indiquaient que Qatar Energy, la société énergétique d’État, était en pôle position pour racheter les parts de Novatek. Le dimanche 29 janvier 2023, la société a décidé de faire les choses en grand pour officialiser son entrée au capital du consortium.

Le ministre d'Etat qatari aux Affaires énergétiques et PDG de Qatar Energy, Saad Sherida Al-Kaabi, s’est ainsi rendu à Beyrouth pour une grande cérémonie aux cotés des PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, et d'Eni, Claudio Descalzi, ainsi que du ministre libanais de l'Energie et de l'Eau, Walid Fayad.

Il y officialisé une prise de participation de 30 % de Qatar Energy dans le consortium, les 20 % de Novatek, plus 10 % cédés à part égales par TotalEnergies et Eni, qui conservent donc chacun 35 % des parts. L’émirat gazier assoie ainsi sa position dans la coentreprise, presque à égalité avec les deux géants européens.

Premier forage du bloc 9 d’ici cet automne

TotalEnergies a d’ailleurs annoncé qu’un premier forage exploratoire allait être lancé dans le bloc 9 d’ici septembre 2023, pour tenter d’y trouver un gisement exploitable. Les premiers puits dans le bloc 4, en 2020, n’ayant pas été concluants, ces forages vont être suivi avec beaucoup d’attention par Beyrouth.

Saad Sherida Al-Kaabi n’a d’ailleurs pas oublié de soigner ses relations avec le Liban durant la cérémonie, indiquant que « cet accord nous donne l'opportunité de soutenir le développement économique du Liban qui traverse une période critique ». Le pays est en effet enfoncé dans une crise économique sans précédent, fait face à de graves pénuries (notamment énergétiques), à une instabilité politique et à une explosion du taux de pauvreté.

« L'Emirat soutiendra toujours le Liban et sa population »

« L'Emirat soutiendra toujours le Liban et sa population », a ajouté le PDG de Qatar Energy. « Cet accord commercial renforce l'assise du Qatar au Liban, potentiellement pour de nombreuses années en cas de découverte, où son rôle politique s'est considérablement renforcé ces derniers mois », pointe le chercheur en politique énergétique Marc Ayoub pour les Echos.

Le Qatar va d’ailleurs participer, en février 2023, à une rencontre à Paris avec des représentants de la France, des États-Unis et de l'Arabie saoudite, afin de soutenir l’élection d’un président et la formation d’un gouvernement au Liban.

Retrouver des représentants saoudiens et qataris côte à côte dans une négociation diplomatique prouve à quel point Doha a su habilement manœuvrer pour sortir de son relatif isolement au Moyen-Orient. Et cette présence du Qatar montre aussi que son influence sur Beyrouth ne cesse de prendre du poids. L’émirat se rêve en effet en rouage indispensable des relations régionales, en grignotant le pré carré d’une Arabie saoudite moins souveraine que voici quelques années.

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