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Iran – Koweït / Arabie saoudite : le champ gazier de la discorde

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Cet été a vu les tensions à propos du champ gazier offshore d’Arash / Dorra, contesté par l’Iran d’une part, le Koweït et l’Arabie saoudite d’autre part, reprendre de plus belles – alors que le climat est à l’apaisement diplomatique au Moyen-Orient. L’Iran a menacé de commencer des forages dans ce qu’il estime être sa partie du champ et a refusé, malgré l’invite koweïtienne, de négocier sur les frontières maritimes entre les deux pays. Le Koweït et l’Arabie saoudite gardent le cap d’une fermeté de ton sur l’exclusivité de leurs droits sur le gisement – mais ont rouvert, tout récemment, la porte aux négociations. L’Iran a tout récemment invité le chef de la diplomatie du Koweït pour discuter. De quoi trouver une solution diplomatique à ce différent vieux de 60 ans ?

Un différent sur un gisement de gaz offshore, remontant à 1963, pourrait-il fragiliser la détente diplomatique que connaît actuellement le Moyen-Orient ? Dans la foulée d’une normalisation de ses relations avec le Qatar, l’Arabie saoudite s’est en effet rapproché de l’Iran : les deux puissances régionales, rivales, respectivement championnes du courant sunnite (Arabie saoudite) et chiites (Iran) de l’islam, alliées pour la première à l’Occident, pour la seconde à la Russie et la Chine, ont renoué en 2023 des relations diplomatiques rompues depuis 2016.

Arash / Dorra : un champ gazier aux réserves estimées à 220 milliards de m³, dans la zone maritime neutre entre Iran, Koweït et Arabie saoudite

Mais cet équilibre est fragile, et l’été 2023 a vu ressurgir avec force les dissensions sur le champ gazier offshore d’Arash (en persan) ou de Dorra (en arabe), situé dans la zone maritime neutre entre Iran, Koweït et Arabie saoudite.

Il dispose de réserves totales estimées à 220 milliards de m³, qui en fait un actif particulièrement convoité, surtout dans une période où le gaz fossile est perçu comme préférable au pétrole dans l’optique du changement climatique (sa combustion émet, à énergie produite égale, nettement moins de CO2 que les autres hydrocarbures).

1963 : la double concession originelle

L’histoire commence donc en 1963. A cette date, le Koweït accorde une concession dans le champ gazier à l’Anglo-Iranian Petroleum (devenue depuis une filiale de BP), et l’Iran fait de même avec la Royal Dutch/Shell. Les deux concessions se chevauchent en partie, créant une situation inextricable.

Pendant de longues années, Iran et Koweït ont mené des négociations infructueuse, ne parvenant jamais à se mettre d’accord sur un partage de leurs zones maritimes respectives. Tout change en 2001, quand l’Iran commence unilatéralement des forages dans le champ gazier. Cette décision pousse le Koweït à se rapprocher de l’Arabie saoudite, pour fixer définitivement leurs frontières maritimes.

2022 : Arabie saoudite et Koweït s’entendent pour exploiter conjointement le champ

L’affaire se corse encore en 2022, quand Arabie saoudite et Koweït s’entendent, par deux fois, pour exploiter conjointement le champ de Dorra : d’abord via un accord politique entre les deux pays, en mars 2022, que l’Iran qualifie "d’illégal", ensuite par un protocole d’accord entre les deux entreprises pétrolières d’État des deux alliés, la Saudi Aramco et la Kuwait Gulf Oil Company, en décembre 2022.

Les travaux préparatoires sont lancé par les deux géants des hydrocarbures. Mais, en juin 2023, l’Iran vient remettre son grain de sel. Sa propre compagnie d’État, la National Iranian Oil Company, annonce qu’elle se prépare à « commencer le forage dans le champ conjoint d’Arash ».

L’Iran se prépare à commencer des forages, Koweït et Arabie saoudite répliquent fermement

«Des ressources considérables ont été allouées au conseil d’administration (…) pour mettre en oeuvre le plan de développement de ce gisement», précise le DG de la compagnie, Mohsen Khojsteh Mehr.

Le 3 juillet 2023, le ministère koweïtien des Affaires étrangères répond séchement, dans un communiqué, que « l’État du Koweït et le royaume d’Arabie saoudite (...) ont des droits exclusifs sur les richesses naturelles du gisement de Dorra ».

Cette fermeté se double toutefois d’une ouverture vers Téhéran, puisqu’il indique aussi que l’État koweïtien «renouvelle son invitation à la partie iranienne à entamer des négociations sur la démarcation des frontières maritimes».

L’Iran « fera valoir ses droits et ses intérêts »

Le Koweït enfonce le clou le 27 juillet 2023 : le ministre koweïtien du Pétrole, Saad al-Barrak, cité par la chaîne de télévision SkyNews Arabia, affirme que son pays commencerait « le forage et la production » sur le champ gazier –sans attendre un éventuel accord avec l’Iran sur les lignes de démarcation.

Réaction immédiate (et courroucée) de Téhéran : le 30 juillet 2023, le ministre iranien du Pétrole Javad Owji assène que l’Iran « fera valoir ses droits et ses intérêts concernant l’exploitation et l’exploration » du gisement « s’il n’y a pas une volonté de compréhension et de coopération » de la part du Koweït et de l’Arabie saoudite. « L’Iran ne tolérera aucune violation de ses droits », a-t-il ajouté, assurant avoir cherché « la voie de la négociation » avec ses voisins.

L’Iran invite le chef de la diplomatie koweïtienne

Ce 3 août 2023, Arabie saoudite et Koweït réaffirment qu’ils sont les seuls légitimes à exploiter ce champ gazier. Le même jour, l’agence officielle koweïtienne Kuna annonce que l’ambassadeur iranien au Koweït a remis au ministre des Affaires étrangères, Salem Al-Sabah, « une lettre de son homologue iranien, Hossein Amir-Abdollahian, l’invitant en Iran ».

L’agence de presse ne précise pas si le Koweït a accepté, ou non, cette invitation, mais cette main tendue iranienne semble être un gage de bonne volonté (d’autant que Téhéran et Koweït-City ont toujours entretenu des relations plutôt cordiales) : une nouvelle phase de négociations semble donc possible.

Les trois pays ayant une claire volonté de profiter de la manne gazière, et étant dans une dynamique de réchauffement diplomatique, une issue négociée ne semble pas hors de portée. Mais un échec pourrait pousser celui qui s’estime lésé à faire valoir ses droits par des moyens moins doux – avec un risque réel de dangereuse escalade.

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