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France : fin des chaudières à gaz neuves en 2026, une option réaliste ?

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Sous le double effet de la crise du gaz encore en cours et de la validation d’une trajectoire de décarbonation particulièrement ambitieuse, la France veut réduire sa consommation de gaz fossile. Le gouvernement a ainsi lancé, début juin 2023, une concertation pour étudier la possibilité d’interdire les chaudières à gaz neuves dès 2026. Déjà en cours d’interdiction dans le neuf, la fin des chaudières à gaz dans l’ancien et à la rénovation pourrait avoir un impact décisif sur la décarbonation du secteur du bâtiment. Mais les professionnels des filières gaz et biogaz ne l’entendent pas de cette oreille.

En France, le gouvernement semble déterminé à accélérer la décarbonation de la société : c’est le sens de la feuille de route présentée fin mai 2023, qui détaille comment réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France de 55 % par rapport à leur niveau de 1990 – une ambition qui nécessite une accélération considérable des efforts consentis.

Pour tenir sa trajectoire de décarbonation, le gouvernement veut réduire de 60 % les émissions du bâtiment d’ici 2030

En 2022, la France a péniblement réussi à baisser ses émissions de 2,5 %. D’ici 2030, il faudra aller deux à trois fois plus vite. Le gouvernement a fixé les secteurs-clés qui devront permettre cette prouesse : les transports, évidemment, l’industrie et, plus que tout autre, le bâtiment.

L’ambition gouvernementale peut même sembler démesurée pour ce dernier secteur : la feuille de route de la Première ministre Élisabeth Borne table sur une baisse des émissions du bâtiment de 75 millions de tonnes d’équivalent CO2 (Teq CO2) en 2021 à 30 millions de Teq CO2 en 2030, soit une baisse de 60 % en moins de dix ans (-45 millions de Teq CO2).

Le gouvernement veut, pour cela, s’appuyer notamment sur la rénovation des bâtiments et l’amélioration de leur efficacité énergétique. La volonté politique semble être là, mais ces grands travaux peinent encore à se généraliser, et les incitations (Ma Prime Renov' en tête), si fortes soient-elles, ne peuvent garantir un résultat.

Baisser l’usage du gaz fossile dans le bâtiment : des mesures déjà en vigueur

Le fer de lance de cette décarbonation doit donc être une baisse de l’usage des combustibles fossiles dans le bâtiment, en particulier du gaz. On passera rapidement sur les précédentes réglementations thermiques, notamment l’absurde RT 2012 qui, alors que l'origine anthropique du changement climatique faisait déjà consensus, avait tendance à inciter à l’installation de chaudières au gaz dans le neuf.

Au contraire, les RT 2020 et RE 2020, entrées en vigueur au 1er janvier 2020, ne font pas de quartier avec les combustibles fossiles : elles interdisent les nouvelles chaudières au fioul et au charbon au 1er juillet 2022, et l’installation de chaudières à gaz dans les logements neufs, individuels au 1er janvier 2022, collectifs au 1er janvier 2024.

Qui plus est, l’aide « Coup de pouce chauffage », qui permettait d’obtenir une aide financière pour remplacer une chaudière ancienne (notamment au fioul) par une chaudière à gaz à très haute performance énergétique (THPE), a pris fin le 1er janvier 2021. Et Ma Prime Renov’ n’accepte plus les chaudières à gaz, même à THPE, depuis le 1er janvier 2023.

Aller plus loin, et interdire les chaudières à gaz neuves en 2026 ?

Le contexte mondial, avec l’explosion des prix du gaz en 2022, notamment suite à la rupture d’approvisionnement avec la Russie, joue également contre ce type de chaudières, dont se détournent de plus en plus de particuliers. 500 000 chaudières à gaz neuves ont ainsi été vendues en 2022, contre 715 000 en 2021.

Mais le gouvernement semble vouloir aller plus loin. Pour tenir les objectifs, il envisage d’interdire purement et simplement l’installation de chaudières à gaz neuves. La Première ministre Élisabeth Borne a lancé une concertation dans ce sens, le 5 juin 2023, qui se poursuivra jusqu’au 28 juillet 2023.

Cette concertation portera sur la décarbonation des bâtiments, avec, comme projet central, la fin des chaudières à gaz neuves dès 2026 en France. Tout logement équipé souhaitant remplacer sa chaudière serait invité à investir dans une solution électrique (pompe à chaleur notamment) ou renouvelable (chaudière à pellets essentiellement), ou à se connecter à un réseau de chaleur existant.

Une concertation jusque fin juillet 2023, avec des débats musclés en perspectives

Les ministères de la Transition énergétique, de la Transition écologique, de la Ville et du Logement rencontrent donc, en ce moment et jusque fin juillet, les responsables du secteur du gaz (industriels, fabricants, installateurs, professionnels du bâtiment et de la maintenance), mais aussi des élus et des associations représentant les consommateurs, les propriétaires, les locataires, les collectivités ainsi que des associations de défense de l'environnement.

Les débats doivent être plutôt musclés, et difficile de savoir s’ils aboutiront à cette fameuse interdiction. D’un point de vue climatique, de souveraineté énergétique et même de balance commerciale, cette interdiction est difficilement contestable.

Le coût financier d’une telle mesure pose question

Mais les professionnels du gaz ont déjà commencé à se battre pour leur chapelle, au nom de la défense des consommateurs et de l’emploi.  « La mise en œuvre d’un projet d’interdiction des chaudières constituerait une décision inquiétante, tant pour les un Français sur deux dont les logements sont équipés d’une chaudière que pour les salariés et les entreprises de la filière des professionnels du gaz qui compte aujourd’hui plusieurs centaines de milliers d’emplois », a critiqué Coénove, la fédération des acteurs de l’efficacité énergétique dans le bâtiment.

Le coût de cette mesure pourrait en effet s’avérer important pour les foyers les plus modestes forcés de se rééquiper. La critique est justifiée, mais un accompagnement public pourrait assurément résoudre ce problème.

Disposera-t-on d’assez d’électricité pour substituer les pompes à chaleur au gaz ?

Autre argument avancé : 11,2 millions de foyers se chauffent au gaz, la France ne pourra pas produire assez vite assez d’électricité pour tous les convertir à l’électrique. Là encore, l’argument est valide : le premier réacteur nucléaire de nouvelle génération (EPR2) ne rentrera en service, au mieux, qu’en 2035, et la France a déjà prévu d’électrifier de nombreux autres secteurs (transports et industrie en tête), ce qui a poussé RTE à fortement relever les objectifs de production électrique pour 2035, entre 580 et 640 TWh (contre entre 540 et 585 TWh précédemment dans les précédents prévisionnels).

Pour autant, décarboner signifie souvent électrifier, il faudra donc bien que la production électrique bas carbone française augmente, et une interdiction des chaudières à gaz jouera sans doute comme un aiguillon pour pousser à l’installation de nouvelles capacités électriques bas carbone.

Surtout, cet argument sous-entend que le chauffage au gaz tirera sa révérence en 2026, ce qui est faux : les chaudières existantes pourront continuer de fonctionner et d’être réparées, leur mise hors-service sera extrêmement progressive, et l’on peut penser que la production électrique pourra suivre cette trajectoire.

Vers une pénurie de main d’œuvre ?

Cette réponse est la même que la critique portant sur la main-d’œuvre à former. « On ne peut pas dire qu'en 2026, on supprime la chaudière à gaz et qu'on forme 200 000 chauffagistes à la pompe à chaleur. Ce calendrier n'est pas tenable », a ainsi pointé, le 24 mai 2023, dernier Jean-Christophe Repon, président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb).

En 2026, les chauffagistes au gaz auront encore (beaucoup) de travail de maintenance. Certes, cette mesure pose la question de la formation de chauffagistes renouvelables, mais toutes les mesures déjà en vigueur pour sortir progressivement du gaz allaient déjà dans ce sens.

Un frein au déploiement du biogaz, vraiment ?

Le dernier argument essentiel contre la mesure est celui du biogaz. « Ne nous trompons pas de combat : ce n’est pas l’appareil qu’il faut bannir mais le gaz qu’il faut verdir ! Interdire l’installation de nouvelles chaudières serait un contre-sens historique, au moment même où elles affichent leur compatibilité avec le gaz vert – énergie stockable, renouvelable et produite en France », a ainsi avancé Coénove.

« La France dispose d’un potentiel mobilisable de production de gaz renouvelables conséquent, de l’ordre de 320 TWh à l’horizon 2050, rappelle Coénove. Les gisements de production de gaz renouvelables pourront donc garantir des quantités de gaz verts supérieures à la consommation totale de gaz prévue en 2050 et permettront d’assurer l’indépendance énergétique de notre pays, tout en décarbonant l’ensemble des secteurs, dont celui du bâtiment », ajoute Coénove.

Si les ordres de grandeur ne sont pas faux, ils ne prennent absolument pas en compte la faisabilité et l’acceptabilité d’une telle métamorphose, et la filière, encore embryonnaire, ne semble pas taillée pour atteindre rapidement de tels niveaux de production.

Interdire les chaudières à gaz neuves et soutenir le biobaz ne sont pas incompatibles

Cela suppose également de conserver la part actuelle d'élevage dans l'agriculture française, ce qui ne semble être une bonne idée, ni d’un point de vue climatique, ni d’un point de vue de la sécurité alimentaire. Et installer des milliers de méthaniseurs aux quatre coins de la France, en formant tous les professionnels pour s’en occuper, ne se fera pas d’un claquement de doigt.

Oui, le biogaz a un potentiel considérable, et le favoriser est une nécessité absolue. Mais, encore une fois, l’interdiction des chaudières neuves au gaz ne met pas fin à leur usage, et le biogaz trouvera pendant de longues années encore des débouchés dans le bâtiment. Il trouvera également de nombreuses utilisations dans l’industrie, notamment dans les secteurs où la substitution s’avère la plus problématique, et dans la production électrique : lui supprimer à moyen terme un débouché ne va tuer la filière.

Par ailleurs, si le biogaz connaît bien l'évolution spectaculaire que défend Coénove, il sera toujours temps de revenir sur cette interdiction. Mais le compte est encore loin d'y être : en 2022, le biométhane a couvert 1,6 % de la consommation de gaz en France…

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