Les conséquences de la guerre en Ukraine sur le marché européen du gaz naturel se font toujours plus prenantes. Alors que l’Union européenne se démène pour trouver des alternatives au gaz naturel russe, le Kremlin a coupé le gaz à plusieurs États et sociétés refusant de payer en roubles, et a drastiquement réduit ses livraisons par Nord Stream 1, fragilisant l’approvisionnement de toute l’Europe, Allemagne en tête.
Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Bruxelles et le Kremlin se rendent coup pour coup dans le domaine énergétique. Pris au piège de sa dépendance aux énergies russes, en particulier le gaz naturel, l’Union européenne tente de s’en libérer. Pendant que Moscou joue au chat et à la souris sur une possible coupure de l’approvisionnement.
Les Etats baltes renoncent au gaz russe
Certains États européens avaient déjà anticipé une possible rupture avec la Russie, et ont pu facilement tenir tête au Kremlin sur un éventuel chantage au gaz.
C’est ainsi que les trois États baltes ont pu annoncé, dés début avril 2022, qu’ils arrêtaient d’importer du gaz naturel de Russie, suite aux révélations des premiers crimes de guerre de l’armée russe en Ukraine.
Fin juin 2022, la Lituanie a été plus loin en adoptant une loi interdisant l’utilisation de ses infrastructures gazières pour commercer avec des pays constituant « une menace pour la sécurité nationale » – la Russie en fait évidemment partie.
Le Kremlin impose le paiement du gaz en roubles, et coupe le robinet pour Pologne, Bulgarie, Finlande, Danemark et Pays-Bas
Moscou a ensuite sorti la carte du paiement obligatoire en roubles pour régler les factures de Gazprom, la société gazière d’État russe. La manœuvre vise notamment à soutenir le cours du rouble et à provoquer un afflux d’euros et de dollars vers les banques russes, permettant ensuite des achats sur les marchés internationaux (où le rouble est bloqué).
Fin avril 2022, la Pologne et la Bulgarie refusent de payer leur gaz russe en roubles, et Moscou leur coupe le robinet. La Finlande, puis les principales sociétés gazières du Danemark et des Pays-Bas, ont suivi, pour la même raison.
Mais la plupart des grands importateurs européens de gaz russe (Allemagne et Italie en tête, et même la France, via Engie) et leurs sociétés gazières, privées ou publiques, ont cédé au chantage de Moscou et ouvert un compte en roubles.
REPowerUE, pour éliminer le gaz russe d’ici 2027
Mi-mai 2022, l’Union européenne dévoile son plan REPowerUE, qui vise notamment à se passer de gaz naturel russe à horizon 2027, via une diversification des importations, notamment de GNL (Etats-Unis, Qatar, Afrique…), et une réduction de la consommation via l’efficacité énergétique et un développement des renouvelables.
L’Union semblait vouloir, à ce moment, se mettre en ordre de bataille pour se libérer de l’emprise russe, mais en se donnant le temps de le faire pour ne pas trop en souffrir économiquement et énergétiquement.
Un accident dans un terminal méthanier US fragilise l’approvisionnement européen…
Mais, mi-juin 2022, la situation s’est brutalement aggravé pour les pays de l’UE. D’abord suite à un accident survenu, le 8 juin 2022, dans le terminal de liquéfaction du gaz de Freeport LNG, près de Houston, aux Etats-Unis, qui a réduit de 17 % les capacités d’exportation des GNL des Etats-Unis, pour au moins trois mois.
Sur les cinq premiers mois de 2022, 71 % du gaz produit par Freeport a été envoyé en Europe, contre 29 % seulement sur l’année 2021. C’est dans ce contexte que Gazprom a annoncé, le 14 juin 2022, une réduction de 40 % de ses livraisons de gaz via Nord Stream, suite à un prétendu soucis technique (une absence de turbine Siemens dans la station de compression de Portovaïa).
… et Gazprom réduit fortement les livraisons vers l’Allemagne via Nord Stream
Le lendemain, Gazprom annonce une nouvelle réduction de 33 %. En deux jours, le gaz acheminé en Allemagne (puis dans le reste de l’Europe, notamment en Italie) via Nord Stream passe de 167 à 67 millions de mètres cubes par jour.
L’Italie et l’Allemagne dénoncent alors une instrumentalisation politique des livraisons de gaz, soupçonnant qu’aucune avarie n’explique cette baisse. Sans valider explicitement cette thèse, le patron de Gazprom, Alexeï Miller, répond d’un cinglant : « Notre produit, nos règles. Nous ne jouons pas selon des règles que nous n’avons pas faites ».
Le Kremlin en position de force
Tout en rappelant que « la Russie est un fournisseur d’énergie fiable pour les amis de la Russie » et en stigmatisant le choix de l’Union européenne de refuser les contrats sur le long terme avec Gazprom, il a rappelé que, si les exportations de gaz avaient bien baissé en Russie depuis début 2022 (suite aux restrictions imposées par l’Union européenne), les revenus étaient, grâce à la hausse des cours, restés stables.
Le Kremlin a également annoncé que la Russie était prête à exporter davantage du gaz vers l’Est, notamment vers la Chine, pour compenser les baisses d’exportations vers l’Union européenne. Et Moscou d’enfoncer le clou en affirmant « les décisions des dirigeants européens touchent avant tout leurs propres populations ».
Selon les analystes, le risque d’une coupure totale de l’approvisionnement en gaz russe pour l’Union européenne est aujourd’hui réel. Et si l’UE a prévu de réduire de 90 % ses importations de gaz russe d’ici fin 2022, tous les Etats ne seraient pas prêts à s’en passer immédiatement.
Risques économiques majeurs pour l’Union européenne
Les conséquences économiques pourraient être graves : « l’Europe devra payer plus cher les fournisseurs alternatifs (renforçant le choc d’inflation), polluer davantage (relance des centrales à charbon) et aura peut-être bientôt à rationner sa consommation (risque de récession). Au Kremlin, on doit bien rigoler », synthétise Bruno Cavalier, chef économiste au sein de la banque privée Oddo BHF.
Plusieurs Etats européens, Allemagne en tête, auraient déjà dans leurs cartons un plan de rationnement du gaz, avec des conséquences sérieuses sur l’activité économique nationale. Pour l’heure, c’est bien Moscou qui semble avoir les meilleurs atouts dans sa main.
Mais sur le long terme, l’attitude de la Russie pourrait s’avérer désastreuse pour elle, en la rendant trop fortement dépendante de la Chine, l’économie russe reposant largement sur l’exportation d’hydrocarbures.