Coup dur pour le projet de gazoduc EastMed, qui doit relier les gisements offshore situés en Méditerranée orientale, entre Chypre et Israël, avec la Grèce continentale et l’Italie ! Le département d’État américain vient d’annoncer que les Etats-Unis ne soutiendraient plus sa construction, préférant favoriser des interconnexions électriques permettant d’améliorer la diffusion des sources d’énergies renouvelables. L’Union Européenne s’interroge quant à elle sur l’opportunité d’un tel investissement compte tenu de son objectif de sortie progressive du gaz fossile.
Le gazoduc de la Méditerranée orientale (surnommé EastMed) est un projet de gazoduc offshore / onshore de 1 900 km, qui doit relier les gisements gaziers de la Méditerrané orientale, dans le Bassin Levantin, entre Chypre et Israël, à la Grèce continentale, via la Crète – puis à l’Italie, grâce à une interconnexion avec le gazoduc Poséidon, et d’autres régions d’Europe via le gazoduc IGB.
EastMed, un gazoduc pour relier à la Grèce les gisements de gaz offshore entre la Chypre et Israël
Le 2 janvier, un accord a été signé entre les gouvernements de la Grèce, de Chypre et d’Israël pour la construction du gazoduc : d’un budget de 6 milliards d’euros, il serait construit par une co-entreprise détenue à 50 % par la compagnie grecque de gaz DEPA et par la compagnie italienne de gaz Edison.
Le gazoduc EastMed devrait acheminer entre 9 et 12 milliards de mètres cube par an. La construction devait démarrer en 2021, mais elle a été reportée à 2022, décalant la mise en service, initialement prévue pour 2025, à 2027.
Les Etats-Unis ne financeront pas EastMed
Reste maintenant à savoir si ce projet sera mené à son terme, ou s’il finira sacrifié sur l’autel de la transition énergétique (et des intérêt stratégique). Le gazoduc EastMed vient en tout cas de perdre un de ses soutiens, à savoir les Etats-Unis. Ce 10 janvier 2022, le Département d’État américain a indiqué que Washington ne financerait pas ce projet de gazoduc.
Les Etats-Unis préfèrent officiellement se concentrer sur des projets liés au développement des renouvelables : « Nous restons engagés dans une interconnexion physique de la Méditerranée orientale vers l’Europe en matière d’énergie. Nous nous concentrons désormais sur les interconnexions électriques qui peuvent soutenir à la fois le gaz et les sources d’énergies renouvelables », expose le communiqué.
Washington préfère soutenir les interconnexions électriques sous-marines en Méditerranée
Le Département d’État a notamment cité le projet d’interconnexion électrique sous-marine EuroAfrica, qui reliera l’Égypte à la Crète et à la Grèce continentale, et le projet d’interconnexion EuroAsia, qui reliera les réseaux électriques israélien, chypriote et européen.
Ces interconnexions permettraient de faire bénéficier l’Union Européenne des futures centrales renouvelables (photovoltaïque et éolienne) d’Egypte et d’Israël, tout en améliorant la sécurité d’approvisionnement de l’ensemble de ces réseaux électriques, en favorisant les échanges en temps réel, indispensable à des mix électriques comprenant une part importantes de renouvelables intermittents.
« Ces projets permettraient non seulement de connecter des marchés énergétiques cruciaux, mais aussi de préparer la région à la transition vers une énergie propre », détaille d’ailleurs le Département d’État.
L’abandon d’EastMed, un geste des Etats-Unis pour contenter la Turquie ?
Certains médias grecs voient surtout dans cette décision une concession américaine à la Turquie, opposée à ce gazoduc depuis l’annonce du projet, qui contourne ses côtes et renforce selon elle les tensions en Méditerranée orientale, en contribuant à spolier les droits des Chypriotes turcs sur les réserves gazières de la région.
Certes, les Etats-Unis et la Turquie ont eu, ces dernières années, de profondes divergences et oppositions sur de nombreuses questions diplomatiques et géostratégiques, la politique agressive de Recep Tayyip Erdoğan n’étant que modérément appréciée par Washington.
Favoriser les exportations US de GNL vers l’Europe
Mais la Turquie demeure un allié historique des Etats-Unis, et un membre puissant et stratégique de l’OTAN, en particulier dans un contexte de tension avec la Russie sur la question de l’Ukraine et de l’élargissement de l’OTAN à l’Est. Cette volonté de contenter un allié, même controversé, peut être une explication de ce choix économique.
D’autres analystes pointent que les Etats-Unis profitent actuellement des baisses d’approvisionnement en gaz russe de l’Union Européenne pour augmenter fortement leurs propres exportations de GNL vers le Vieux Continent. Il est possible qu’en refusant de financer ce gazoduc, ils cherchent avant tout à torpiller un potentiel concurrent pour leurs débouchés de gaz naturel, dont ils sont redevenus le premier exportateur mondial.
La Commission Européenne hésitante sur EastMed
De son coté, l’Union Européenne tient un discours hésitant sur ce projet. Certes consciente qu’il pourrait améliorer la sécurité d’approvisionnement de l’Europe en gaz naturel, une question sensible dans une période de pénurie et de prix qui s’envolent, Bruxelles sait aussi qu’à la mise en service prévue d’EastMed, en 2027, les efforts de transition énergétique de l’Union Européenne devraient avoir réduit sa dépendance au gaz naturel.
Même si le gaz fossile a été inclus dans la taxonomie verte comme « énergie de transition », pas certain qu’un projet de l’ampleur d’EastMed rentre dans les clous de la transition énergétique européenne. La Commission Européenne doit d’ailleurs présenter prochainement une étude sur la faisabilité du projet sur le plan commercial et économique.
Fin octobre 2021, un fonctionnaire de la Commission avait déclaré que le projet était complexe et que son évaluation dépendait notamment des objectifs de décarbonation de l’UE et de la demande future en gaz.
L’Union Européenne, dans ses investissements, veut favoriser hydrogène vert, biogaz et gaz de synthèse
« L’analyse de la Commission à partir de l’évaluation de l’impact sur l’objectif climatique montre que le recours permanent au gaz naturel n’est pas compatible avec l’objectif de décarbonation à long terme », avait déclaré à l’époque le fonctionnaire.
Il rappelle aussi que le budget de l’Union Européenne a vocation à financer en priorité les investissements en faveur de solutions énergétiques respectueuses du climat, comme les différents gaz bas carbone (hydrogène vert, biogaz, voire gaz de synthèse).
« Les gaz à faible teneur en carbone tels que l’hydrogène, le biogaz et le gaz de synthèse devraient progressivement remplacer le gaz naturel. Il sera essentiel que les infrastructures dont nous disposons ou dans lesquelles nous investissons soient prêtes à accueillir ces nouveaux vecteurs énergétiques », avait affirmé le fonctionnaire. Or, il est peu probable qu’EastMed permette un jour de faire transiter de l’hydrogène vert ou du biogaz…