Le conseil des ministres de l’énergie des Vingt-Sept de ce 24 novembre 2022, centré sur les mécanismes permettant de faire face à la crise énergétique (liée en particulier aux tarifs du gaz naturel), a certes permis d’adopter plusieurs mesures peu polémiques : mais il a surtout donné lieu à de violentes passes d’armes sur le mécanisme de plafonnement du prix du gaz. Fixé à un niveau extrêmement élevé, imposant pour se déclencher des prix dépassant les 275 euros le MWh pendant quinze jours (ce qui n’est jamais arrivé…), il avait été atomisé avant la réunion par la France et l’Espagne, cette dernière accusant la Commission européenne de « se payer la tête du monde ».
Habituellement feutrés et emprunts de respect des convenances, avec une parfaite maîtrise de l’euphémisme et de la langue de bois, les échanges sur le secteur énergétique ont profondément changé de ton, cette semaine dans l’Union européenne.
La Commission européenne finit par accepter le principe de plafonner les prix du gaz
En cause : le mécanisme de plafonnement des prix du gaz naturel présenté par la Commission européenne ce mardi 22 novembre 2022, avant la réunion extraordinaire des ministres de l’Energie de l’Union, ce 24 novembre 2022 à Bruxelles.
Durant les précédentes discussions, l’exécutif européen avait certes indiqué qu’il n’était pas favorable à une telle mesure, et n’en avait accepté le principe que sur pression d’ États particulièrement puissants, comme la France ou l’Espagne, qui l’exigeaient pour poursuivre les négociations.
L’Allemagne se montrait beaucoup plus critique sur une mesure de ce genre, craignant qu’elle pousse les vendeurs de GNL de se détourner de l’Union européenne au profit d’autres acheteurs internationaux.
Eviter une explosion des cours, en restant au-dessus des prix mondiaux du GNL
Il fallait donc inventer un mécanisme qui évite que les cours européens explosent à cause d’une concurrence entre les Vingt-Sept, mais en garantissant des prix européens au-dessus des cours mondiaux de GNL en cas de forte demande du Vieux continent, pour ne pas tarir les approvisionnements.
Le tout en respectant les sacro-saints principes de la concurrence et en permettant à chaque État de continuer de jouer son rôle sur les marchés… La Commission européenne a tardé à dévoiler sa trouvaille. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le mécanisme semble destiné à ne pas servir, ou alors face à une hypothétique situation d’explosion des tarifs plus violente encore que cette année.
La Commission propose de plafonner quand les prix dépassent 275 euros/MWh deux semaines de suite…
Dans le détail, le texte propose de plafonner pour un an, à compter du 1er janvier 2023, les prix des contrats mensuels (pour livraison le mois suivant) sur le marché néerlandais de référence TTF, dès que les prix de ces contrats dépassent 275 euros/MWh pendant deux semaines consécutives.
Autre condition : ces prix doivent rester supérieurs d’au moins 58 euros à un “prix mondial moyen de référence” du gaz naturel liquéfié pendant 10 jours. De loin, les conditions semblent remplies…
… ce qui n’est JAMAIS arrivé, même au plus fort de la flambée des prix
Sauf que cette situation n’est jamais arrivée. Même au plus fort de l’explosion des prix, en août 2022, au moment de la rupture des approvisionnement par Nord Stream, quand tous les pays européens se battaient entre eux sur les marchés internationaux pour remplir leurs réserves, les prix du TTF n’ont dépassé les 275 euros/MWh que durant quelques jours. Actuellement, les prix sont de 120 euros/MWh.
Dit autrement : si le mécanisme avait été en place cette année, il ne se serait pas déclenché. Cette annonce a provoqué la furie de la ministre de Transition écologique espagnole, Teresa Ribera, qui n’a pas mâché ses mots.
L’Espagne accuse la Commission de « se payer la tête du monde »
« Nous avions demandé à la Commission qu’elle élabore une proposition et, à la dernière minute, elle nous présente cette proposition, qui n’en est pas une », a indiqué la ministre, qui voit dans ce mécanisme une « plaisanterie », accusant la Commission de « se payer la tête du monde ».
« Ce que cette proposition va générer est à l’opposé de l’effet recherché: elle va provoquer une augmentation plus importante des prix, mettant en péril toutes les politiques de maîtrise » de l’inflation, a ajouté Teresa Ribera. Elle a enfin sorti l’artillerie lourde, menaçan de « simplement cesser de soutenir les propositions de la Commission sur d’autres questions importantes pour elle ».
« Il faut une bonne chute libre » pour profiter du « filet de sécurité » européen, ironise la France
Devant cette violence verbale, le ton du communiqué du ministère français de la Transition écologique semblait presque courtois. « Il faut que la Commission propose un texte opérationnel, pas simplement un texte qui fait de l’affichage politique et qui peut avoir potentiellement des effets pervers ou nuls », a-t-il précisé dans un communiqué.
« C’est un filet de sécurité qui est très très bas, il faut avoir fait une bonne chute libre avant d’être dedans », persiflent les équipes d’Agnès Pannier-Runacher. « Ce n’est certainement pas une réforme structurelle ni une réponse à l’envolée des prix du gaz à laquelle l’industrie européenne fait face et qui met en danger nos économies. A ce titre, ce n’est pas un texte suffisant », précise la ministre.
Kadri Simson, commissaire européen à l’Energie, ne s’en cachait d’ailleurs pas vraiment, indiquant qu’il ne s’agissait pas “d’interventions sur le marché pour fixer les prix à des niveaux artificiellement bas : c’est un mécanisme de dernier recours“.
La réunion extraordinaire des ministres de l’Energie permet d’adopter un paquet de mesures sur la crise énergétique…
Dès lors, la réunion de ce 24 novembre 2022 avait peu de chances de bien se passer. Teresa Ribera avait d’ailleurs prévenu que le mécanisme provoquait une « forte indignation chez une majorité d’États membres », que l’Espagne allait « s’y opposer fortement » et que la Commission « y entendra des choses très dures de la part de la grande majorité des ministres ».
Certes, la réunion a, au final, permis d’adopter un ensemble de mesures peu polémiques, sur le renforcement des achats conjoints de gaz, la limitation de la volatilité des prix intrajournaliers de l’énergie et l’accélération des procédures de mises en oeuvre d’énergies renouvelables.
… mais reporte (sans surprise) toute décision sur le plafonnement
Mais la question du plafonnement des prix du gaz a été ajournée, et sera débattue à nouveau durant une réunion extraordinaire, ce 13 décembre 2022. Ce qui laisse le temps à l’exécutif européen de peaufiner une proposition plus en adéquation avec les attentes des États membres.
En attendant, ces passes d’armes renvoient l’image d’une Union européenne désunie, ne parvenant pas à faire front dans une situation d’urgence. Politiquement, le message envoyé est désastreux.