Le groupe algérien Sonatrach a annoncé, ce 6 octobre 2022, la signature d’un accord avec l’espagnol Naturgy pour une « révision » du tarif du gaz naturel que l’Algérie exporte vers l’Espagne. S’il est acquis qu’il s’agit d’une hausse, son volume est demeuré secret : mais certains analystes estiment que, vu le contexte de tensions extrêmes entre Alger et Madrid, Sonatrach pourrait imposer de caler les prix de son gaz sur ceux du TTF néerlandais, provoquant une hausse de 70 % des tarifs. Suite à une baisse ponctuelle des livraisons américaines, l’Algérie étai redevenue, en septembre 2022, le premier fournisseur de gaz de l’Espagne.
Madrid semblait espérer que la brouille diplomatique avec l’Algérie, née de l’alignement de l’Espagne sur la position marocaine sur le Sahara occidental, en mars 2022, ne durerait qu’un temps.
L’Algérie rompt le traité de coopération qui la liait à l’Espagne
Elle s’est, au contraire, fortement durcie. Le 8 juin 2022, l’Algérie a rompu le « traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération » qui la liait à l’Espagne depuis vingt ans. Les effets sur le commerce extérieur espagnol ont été violents : en juin et juillet 2022, le pays n’a exporté que pour 94 millions de marchandises vers l’Algérie, contre 329 millions sur la même période en 2021.
Jusqu’ici, cette rupture n’avait pas eu d’impact sur les livraisons de pétrole et de gaz naturel algériens vers l’Espagne, dans un contexte de crise énergétique et de baisse drastique des livraisons de gaz russe en Europe.
La fermeture du GME provoque une chute des livraisons de gaz algérien en Espagne
Pour autant, la fourniture de gaz par l’Algérie reste en chute libre en 2022 par rapport à 2021 ou 2020, année où Alger avait fourni plus de 50 % du gaz consommé par l’Espagne, via les deux gazoducs Maghreb-Europe (GME, passant par le Maroc) et Medgaz.
Mais cette baisse n’est pas due à cette crise diplomatique, elle en serait même, en quelque sorte, une des causes. En effet, en octobre 2021, l’Algérie refuse de reconduire le contrat tri-partite avec l’Espagne et le Maroc sur le GME, en guise de représailles contre Rabat, afin de ne plus fournir au Maroc de gaz gratuit, monnaie d’échange pour pouvoir traverser son territoire.
A l’époque, l’Algérie promet qu’elle compensera la fin des livraisons vers l’Espagne par le GME en augmentant la capacité du gazoduc Medgaz et en utilisant du GNL. Sur le premier point, le pays a tenu parole. Sur le second, nettement moins, pour des raisons probablement davantage techniques que diplomatiques.
De la moitié au quart des importations espagnoles
Résultat : tout au long de l’année 2022, l’Algérie n’a fourni qu’environ un quart du gaz importé par l’Espagne. Les États-Unis en ont profité pour devenir, et de loin, le premier fournisseur de gaz naturel du pays.
En septembre 2022, toutefois, l’Algérie a ponctuellement repris le leadership : avec des livraisons de 8 931 GWh (7 962 GWh par Medgaz, 969 GWh de GNL arrivé par méthaniers), soit 25,4 % de l’offre totale, l’Algérie est redevenu le premier fournisseur de l’Espagne, une annonce qui a fait les gros titres des journaux, mais est en trompe l’oeil.
Les États-Unis, partenaire-clé de l’Espagne
En effet, les volumes livrés par l’Algérie sont globalement stables, la baisse des livraisons US à 6 012 GWh (entièrement en GNL), soit 17,1 % du total, explique seule ce retour à la première place d’Alger.
Les États-Unis font en effet toujours face aux conséquences du grave accident dans une usine de GNL, au début de l’été, et à une concurrence acharnée sur les marchés mondiaux du GNL, y compris par d’autres pays européens, Allemagne en tête.
Au passage, même s’il est exagéré de faire de cette baisse des livraisons de gaz la cause principale du rapprochement de Madrid avec le Maroc, il aurait été plus difficile à mettre en œuvre avec une Algérie fournissant toujours la moitié du gaz de l’Espagne.
La ministre espagnole de la Transition écologique bienveillante avec l’Algérie
Début septembre 2022, la ministre de la Transition écologique espagnole, Teresa Ribera, s’est montré particulièrement bienveillante avec l’Algérie, consciente que Madrid ne pouvait actuellement pas se passer des 25 % de gaz que lui fournit Alger.
« L’Algérie a mis en marche un quatrième compresseur sur le Medgaz pour augmenter son débit vers l’Espagne et nous lui avons demandé de poursuivre les tâches de maintenance du gazoduc qui passe par le Maroc, car nous espérons qu’il puisse à un moment rentrer de nouveau en fonctionnement. A chaque fois, nous avons pu voir que c’est un pays sérieux », a-t-elle déclaré.
« La relation avec l’Algérie est une relation stratégique et historique qui va bien au-delà du gaz et qui, j’en suis sûr, reviendra à la normale dès que possible », complétait-elle.
Révisions des tarifs de vente du gaz par Sonatrach à l’espagnol Naturgy
Pour autant, Alger semble déterminé à profiter de cette position de force pour durcir, économiquement du moins, ses relations énergétiques avec l’Espagne. Ce 6 octobre 20222, le groupe public algérien des hydrocarbures Sonatrach a ainsi annoncé la signature d’un contrat avec son principal client en Espagne, Naturgy, pour « réviser » les prix du gaz qu’il lui fournit.
« Sonatrach et son partenaire Naturgy ont convenu de réviser les prix des contrats de fourniture de gaz à long terme existants à la lumière de l’évolution du marché, assurant ainsi l’équilibre de leurs contrats sur une base gagnant-gagnant », a précisé Sonatrach, après la signature de l’accord entre son président, Toufik Hakkar, et son homologue de Naturgy, Francisco Reynes Massanet.
Vers une hausse de 70 % de la facture espagnole ?
Les contours de cette « révision » ont été tenus secrets, même s’il est évident qu’il s’agit d’une hausse. L’Algérie offrait en effet des conditions particulièrement avantageuses à l’Espagne dans le contexte actuel, en indexant les tarifs du gaz qu’elle lui livre sur ceux du baril de pétrole Brent, qui a nettement moins augmenté que le gaz fossile.
Certains analystes jugent qu’Alger a obtenu que Naturgy accepte d’aligner les prix payés sur ceux du TTF néerlandais, indice de référence du gaz dans l’Union européenne. Une telle mesure pourrait faire bondir la facture espagnole de 70 % – tout en restant inférieure aux prix du marché international du GNL. Pas de quoi réchauffer les relations entre Madrid et Alger à court terme…