Craignant qu’un embrasement en Ukraine (et les sanctions occidentales qu’il provoquerait) ne conduise la Russie à couper l’approvisionnement de l’Union Européenne en gaz naturel, les dirigeants européens travaillent, avec leur allié états-unien, à trouver d’autres sources d’approvisionnement : le Qatar, dont l’émir a été reçu par Joe Biden ce lundi 31 janvier 2022, et qui souhaite renforcer sa position d’allié stratégique de l’Occident, figure en tête de liste des fournisseurs possibles. Mais le GNL qatari serait bien plus cher que le gaz russe.
La situation est toujours aussi explosive à la frontière entre la Russie et l’Ukraine, où le Kremlin a massé des troupes lourdement armées. Le risque d’une escalade violente reste réel. En cas d’invasion de l’Ukraine, l’Occident a promis « des sanctions sans précédent » ; si une intervention militaire directe des Etats-Unis, de l’OTAN ou de l’Union Européenne est exclue, la Russie ferait face à des sanctions économiques d’une ampleur inédite.
En cas d’escalade en Ukraine, comment l’Union Européenne pourrait-elle se passer du gaz naturel russe ?
Un tel scénario pourrait pousser Moscou à couper le robinet du gaz naturel vers l’Europe. La Russie a déjà commencé, ces derniers mois, à réorienter en partie ses exportations vers l’Est et l’Asie. Et le Kremlin sait l’Union Européenne particulièrement sensible à ce levier d’action, surtout dans un contexte de hausse des prix du gaz (entraînant avec eux ceux de l’électricité), qui provoque une grave crise énergétique dans l’Union Européenne. La Russie fournit en effet 41 % du gaz naturel consommé dans l’Union Européenne.
L’Union travaille donc à trouver des alternatives ; des analystes estiment qu’à court terme, des solutions pourraient permettre de couvrir 75 % de l’approvisionnement russe. La Norvège et l’Algérie (surtout depuis la fermeture du gazoduc Maghreb-Europe) ne semblent pas techniquement capables de livrer davantage de gaz naturel par gazoduc qu’actuellement. Le GNL semble donc la seule issue viable. Les Etats-Unis veulent d’ailleurs profiter de la situation pour augmenter leurs livraisons de GNL en Europe, si possible sur du long terme.
Les Etats-Unis de Joe Biden veulent faire du Qatar et de son GNL la solution de secours de l’Union Européenne
Mais le seul partenaire capable de débloquer rapidement d’importantes quantités de GNL semble le Qatar. Fournissant actuellement 5,2 % du gaz consommé en Union Européenne (exclusivement sous forme de GNL), le Qatar n’a jamais caché sa volonté de faire de l’Europe un partenaire économique majeur, malgré des tensions nées de plusieurs enquêtes européennes sur l’émirat, en particulier sur les modalités de ses ventes de GNL, en 2018.
Ce thème était au centre de la visite de l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, à Washington, ce 31 janvier 2022, où il a rencontré le président américain Joe Biden. Des négociations sont en cours pour rediriger vers l’Europe une partie des livraisons de GNL qataris vers l’Asie, dans le cas où la Russie couperait ou réduirait drastiquement l’approvisionnement européen en gaz.
Un coût très élevé pour l’Europe, un intérêt stratégique et géopolitique pour le Qatar
Le Qatar n’a pas les coudées franches sur ce dossier, car il est actuellement au maximum de ses capacités de production, et doit honorer des contrats à long terme avec des pays asiatiques (Chine, Japon, Corée du Sud…). Dérouter une partie du GNL vers l’Union Européenne reste possible, mais tous les experts estiment que le coût sera très élevé, bien au-dessus de ceux d’un marché déjà historiquement haut.
Reste que le Qatar a un intérêt stratégique à se porter au soutien de l’Union Européenne, pour renforcer son rôle de partenaire économique et géopolitique majeur de l’Occident. Joe Biden a d’ailleurs, lors de la visite de l’émir, accordé au Qatar le titre « d’alliés majeur hors-OTAN », une qualification juridique accordée jusqu’ici à 17 pays seulement.
Joe Biden accorde au Qatar le rôle « d’alliés majeur hors-OTAN »
« Notre partenariat avec le Qatar a joué un rôle central pour nos intérêts les plus stratégiques : relocaliser des dizaines de milliers d’Afghans, maintenir la stabilité à Gaza et fournir une assistance vitale aux Palestiniens, maintenir la pression sur le groupe État islamique », a salué Joe Biden. Le Qatar a d’ailleurs l’ambition de devenir l’allié stratégique le plus important pour les Etats-Unis dans le Golfe persique, devant leur grand rival saoudien.
La rencontre du 31 janvier 2022 a été également l’occasion d’officialiser un contrat de 20 milliards de dollars entre Qatar Airways et Boeing, pour la fourniture d’au moins 34 versions cargos de son nouveau gros porteur 777X.
Intérêts à long terme pour le Qatar
Ce contexte fait que le Qatar aurait tout intérêt à accepter un rôle central dans le plan de sauvetage énergétique de l’Union : « cela pourrait permettre de gagner du crédit en Europe et d’entamer des négociations pour des contrats de longue durée », estime notamment Andreas Krieg, professeur au King’s College de Londres.
La stabilité politique de l’Union Européenne et sa position d’allié militaire de poids des Etats-Unis (notamment via l’OTAN) en font en effet l’un des débouchés idéaux pour les projets d’expansion économique du Qatar, qui veut porter ses capacités de production de gaz naturel de 77 millions de tonnes par an à 127 millions de tonnes d’ici 2027.