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L’Europe doit-elle cesser d’investir dans des infrastructures gazières ?

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Ce 12 septembre 2022, l’ONU a recommandé à l’Union européenne de ne pas céder à la panique énergétique en se lançant dans de vastes chantiers d’infrastructures d'énergies fossiles, en particuliers gazières. La lutte contre le changement climatique imposant de décarboner nos économies, de tels investissements seraient, pour les Nations Unies, contre-productifs au final. Une annonce qui fait écho au débat en cours sur la pertinence de relancer le projet de gazoduc entre la France et l’Espagne, avec quelques jolies passes d’arme entre Paris et Madrid.

La question des infrastructures fossiles, et notamment gazières, peut-elle devenir une nouvelle pomme de discorde pour l’Union européenne, et ainsi favoriser la diplomatie énergétique russe ?

L’Union européenne envisage d’investir dans de nouvelles infrastructures gazières

Quoiqu’il en soit, alors que le Kremlin continue de jouer avec les nerfs des dirigeants européens, faisant craindre à tout instant une rupture définitive de ses approvisionnements gaziers, l’Union européenne cherche tous les moyens possibles de maintenir sa fourniture de gaz pour l’hiver.

Et parmi les moyens évoqués figurent la mise en place de nouvelles infrastructures, notamment des terminaux méthaniers (pour pouvoir regazéifier le GNL acheté sur les marchés mondiaux, plusieurs sont en construction, notamment en Allemagne et en Grèce) et des gazoducs.

L’ONU avertir d’UE

L’ONU a tout récemment averti l’Union européenne que cette recrudescence des investissements dans les hydrocarbures était contraire à ses engagements climatiques.

Ce 12 septembre 2022 s’est ouvert le 51ème Conseils des Droits de l’Homme de l'ONU, présidé par Nada Al-Nashif, Haute-Commissaire aux droits de l’homme par intérim – elle fait la jonction entre Michelle Bachelet, dont le mandat s’est achevé ce 31 août 2022, et son successeur, l’autrichien Volker Türk, nommé ce 7 septembre par le secrétaire général de l’ONU António Guterres, et pas encore entré en fonction.

"Il n'y a pas de place pour le retour en arrière face à la crise climatique actuelle"

Et, pour clore son discours d’ouverture, Nada Al-Nashif a envoyé un message fort à l’Union européenne : "Face à la flambée des prix de l'énergie, qui menace de toucher les plus vulnérables à l'approche de l'hiver, certains Etats membres de l'UE se tournent vers des investissements dans les infrastructures et l'approvisionnement en combustibles fossiles », a-t-elle lancé.

"Si cette impulsion est compréhensible, je demande instamment à l'UE et à ses Etats membres de prendre en considération les conséquences à long terme d'un renforcement des infrastructures liées aux combustibles fossiles", a-t-elle averti, invitant l’Europe à accélérer plutôt sur l’efficacité énergétique et les renouvelables.

"Il n'y a pas de place pour le retour en arrière face à la crise climatique actuelle", a-t-elle rappelé.

MidCat, un exemple concret du dilemme européen

Cette sortie fait forcément écho au débat en cours sur la pertinence de relancer la construction du gazoduc MidCat (Midi-Catalogne), qui permettait de mieux relier la péninsule ibérique au marché gazier français, et donc européen, permettant potentiellement à Madrid de faire profiter toute l’Europe de ses infrastructures de regazéification.

Mi-août 2022, le chancelier allemand Olaf Scholz avait en effet appelé de ses vœux la création d’un tel gazoduc. Bien vite, Espagne et Portugal ont fait des déclarations allant dans le sens d’une telle relance, indiquant que des discussions étaient en cours avec le gouvernement français sur cette question.

Mais, début septembre, l’exécutif français a réagi publiquement en douchant les espoirs allemands et espagnols. C’est d’abord le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, qui a indiqué qu’un tel projet n’était pas envisageable, car trop coûteux (3 milliards d’euros) et trop long à mettre en œuvre.

Les cabris pyrénéens d’Emmanuel Macron

L’Elysée a ensuite précisé la position française, en indiquant que construire MidCat n’était pas justifié, à la fois pour des raisons économiques et environnementales. Sa mise en service n’étant envisageable que dans plusieurs années, il « ne constituerait pas une solution à la crise énergétique actuelle et n’est plus en phase avec l’effort européen d’éliminer progressivement les combustibles fossiles à moyen terme ».

Lors d’un entretien en visioconférence avec le chancelier allemand Olaf Scholz, ce 5 septembre 2022, le président français Emmanuel Macron a été encore plus clair. « Je ne suis pas convaincu qu'on ait besoin de plus d'interconnexions gazières. Je ne comprends pas pourquoi on sauterait comme des cabris pyrénéens sur ce sujet », a-t-il lancé.

La presse espagnole vent debout contre l’exécutif français

Le ton a été reçu comme particulièrement condescendant en Espagne. La presse s’est déchaîné contre le président français. L'éditorialiste Enric Juliana dans le quotidien de Barcelone La Vanguardia, écrit ainsi : « A Paris, on n'aime pas l'idée d'un plus grand poids stratégique de la Péninsule ibérique ».

Pour lui, la France, agacée d'une alliance entre Madrid et Berlin, bloque le dossier pour mieux préserver son influence au Maghreb. La position française serait également un moyen de faire payer à l'Allemagne son rejet du nucléaire.

Plus diplomatique, la ministre espagnole de la Transition écologique, Teresa Ribera, a appelé le 6 septembre au soutien et à la solidarité de la France : « La France devrait réfléchir à la manière d’aider les autres », a-t-elle déclaré dans une interview.

Pour le gouvernement espagnol, « la France devrait réfléchir à la manière d’aider les autres »

Le débat autour du projet MidCat « ne peut se limiter à la relation bilatérale (France-Espagne) », a-t-elle ajouté, en précisant que, pour elle, la France a toujours eu un problème avec le projet MidCat « parce que son système gazier interne est fragmenté et qu’il faudrait faire un gros effort pour le résoudre », a déclaré la ministre.

Pour autant, Teresa Ribera voit aussi le verre à moitié plein, et souligne qu’Emmanuel Macron a aussi « souligné sa volonté de planifier des solutions au niveau européen et de travailler avec l’Espagne et l’Allemagne ».

Pour autant, investir dans des infrastructures qui ne seront opérationnelles que dans plusieurs années a-t-il un sens, alors que l’Union européenne est censée atteindre la neutralité carbone à horizon 2050 ? N’est-ce pas, au contraire, l’occasion de repenser les fonctionnements des marchés de l’énergie et les stratégies énergétiques à court terme des pays de l’Union ?

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