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Le gazoduc Nigeria-Maroc, enjeu de pouvoir en Afrique

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La situation géopolitique mondiale, et en particulier la volonté des pays d’Europe de trouver des alternatives au gaz russe, a redonné du poids au projet de gazoduc Nigeria-Maroc, qui pourrait traverser tous les États côtiers de l’Afrique de l’Ouest, pour les alimenter en gaz naturel, ainsi que l’Europe, via le gazoduc Maghreb-Europe. Le projet semble avoir pris une bonne longueur d’avance sur celui de gazoduc reliant le Nigeria à l’Algérie.

«Nous voulons continuer ce même pipeline jusqu’au Maroc le long de la côte. Aujourd’hui, ce projet est toujours à l’étude. Nous en sommes à la sécurisation du financement et beaucoup de personnes manifestent leur intérêt, (…) mais nous n’avons pas encore identifié les investisseurs avec lesquels nous voulons travailler ».

Le gazoduc Maroc-Nigeria traverserait 14 pays d’Afrique de l’Ouest

En ce mois de mai 2022, le ministre du Pétrole du Nigeria, Timipre Sylva, a confirmé que son pays travaillait toujours au projet de gazoduc Nigeria-Maroc, conçu comme un prolongement du West African Gas Pipeline, mis en service en 2010, et qui relie le Nigeria au Ghana, via le Togo et le Bénin.

Le gazoduc Nigeria-Maroc poursuivrait sa route le long des côtes de l’Afrique de l’Ouest, via la Cote-d’Ivoire, le Liberia, la Sierra Leone, la Guinée, la Guinée Bissau, la Gambie, le Sénégal, la Mauritanie et, enfin, Maroc. Via une interconnexion avec le gazoduc Maghreb-Europe, il pourrait même atteindre l’Espagne.

Limiter l’usage du GNL pour les exportations gazières du Nigeria

En discussion depuis le milieu des années 2010, ce projet est revenu au coeur de l’actualité avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et les menaces de coupure de l’approvisionnement de l’Union Européenne en gaz russe.

En effet, ce projet, d’un budget estimé de 20 à 25 milliards de dollars, doit permettre au Nigeria de livrer davantage de gaz aux pays de la CÉDÉAO, au Maroc et à l’Union Européenne sans avoir à le liquéfier.

Pour l’heure, les livraisons gazières du Nigeria, cinquième exportateur mondial et premier africain, s’effectuent essentiellement via le GNL, une technique qui implique davantage de pertes (à la liquéfaction, puis à la regazéification) qu’un gazoduc classique, avec un impact économique et environnemental certain.

Pour rendre l’Afrique de l’Ouest autosuffisante en électricité

Ce gazoduc s’intègre aussi dans la stratégie marocaine Power to Gas, qui vise à fermer ses centrales électriques au charbon du pays pour les remplacer par des centrales au gaz (en plus des centrales solaires installées dans le désert).

Plus globalement, il aiderait l’ensemble des pays de l’Afrique de l’Ouest à améliorer leur électrification via des centrales en gaz et a abandonné leurs vieilles centrales à charbon ou les générateurs au fioul. Il facilitera également la production d’engrais azotés et donc l’amélioration des rendements agricoles. Il permettra enfin aux autres pays participants producteurs de gaz de l’exporter plus facilement.

« À travers le Gazoduc Nigéria-Maroc, Rabat et Abuja cherchent avant tout à assurer l’indépendance énergétique de l’Afrique de l’Ouest vis-à-vis de l’extérieur. La concrétisation de ce projet permettra effectivement à cette région de s’autosuffire en termes d’électrification et profitera à plus de 300 millions de personnes, et la placera également comme nouveau pôle d’approvisionnement en gaz naturel de l’Europe, au côté de la Russie, de la Norvège et de l’Algérie », juge l’expert mauritanien Hassana Mbeirick, consultant international en pétrole et gaz.

Quels financements ?

Le projet est mené conjointement par l’ONHYM (Office National des Hydrocarbures et des Mines du Maroc) et la NNPC (Nigerian National Petroleum Corporation), qui ont réalisé le trajet offshore et onshore du gazoduc et engagé la société Penspen comme maître d’oeuvre.

Le financement s’appuiera sur les fonds souverains des deux pays, l’Ithmar Capital marocain et le Nigerian Sovereign Investment Authority (NSIA), mais devra obtenir l’appui de banques internationale de développement.

Un cadre à mettre en place

Mais le projet se heurte à d’importants obstacles : l’agence américaine de notation internationale Fitch Solutions a d'ailleurs remis en cause la pertinence du projet à cause des complications soulevées par le nombre de pays impliqués et, donc, de législations à prendre en compte.

Le projet devra en effet imposer un cadre politique, juridique, technique et financier global entre 14 pays. Ce qui représente un défi de très grande ampleur.

Nouveau camouflet diplomatique pour l’Algérie ?

Si ce projet aboutissait, ce serait un nouveau camouflet diplomatique d’importance pour l’Algérie, après le premier échec de sa « diplomatie du gaz » consistant à fermer le Gazoduc Maghreb-Europe, l’Espagne s’étant finalement aligné sur la position marocaine concernant le Sahara occidental.

En effet, L’Algérie et le Nigeria avaient signé un accord en 2002 pour bâtir un autre gazoduc permettant d’acheminer le gaz nigérian jusqu’au Maghreb, Trans-Saharan Gas Pipeline (TSGP), qui devait passer par le Niger, et donc franchir le Sahel.

Le projet TSGP en difficulté

Le projet est toujours en négociation, mais la situation sécuritaire dans la région, en proie à des attaques djihadistes, ainsi que des difficultés de financement, notamment pour la première partie du gazoduc, le tronçon Ajaokuta-Kaduna-Kano (AKK), freinent considérablement son développement.

De nombreux officiels nigérians pencheraient donc de plus en plus vers la solution marocaine. Le Royaume, de retour dans l’Union africaine en 2017, milite d’ailleurs pour intégrer de plein droit la CÉDÉAO, et renforcer ainsi sa position de partenaire de premier plan de l’Afrique de l’Ouest, économique et politique.

Le rapprochement entre Nigeria et Maroc s’est d’ailleurs concrétisé par le renoncement du premier à défendre l’autonomie du Sahara Occidental : les visées panafricaines du gouvernement nigérian le font regarder davantage vers le Nord-Ouest (CÉDÉAO et Maroc) que vers le Nord (Niger et Algérie). Le gazoduc Maroc-Nigeria, même s’il est loin d’être mis en chantier, est un marqueur clair de cette évolution stratégique.

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