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Union Européenne : le gaz de mine, alternative possible au gaz russe ?

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La crise énergétique actuelle et les tensions avec la Russie, fragilisant l’approvisionnement en gaz russe, remettent en valeur des alternatives possibles pour l’Union Européenne. Outre la hausse de production des derniers sites européens de production de gaz fossile existants (au Danemark, aux Pays-Bas), outre le soutien à la filière biogaz, une autre réserve dormante suscite l’intérêt : celle du gaz enfermé dans les anciens gisements de charbon, composé essentiellement de méthane, et déjà valorisé en Belgique et dans les Hauts-de-France. Avec deux technologies différentes, une globalement verte et peu polémique (le grisou), l’autre qui suscite beaucoup plus de questions (le gaz "de couche").

Face aux tensions sur le marché du gaz naturel et aux risques de rupture de fourniture de gaz russe, l’Union Européenne réfléchit à toutes les solutions possibles. Les plus évidentes consistent bien évidemment à réduire la consommation de gaz naturel (en faisant des économies d’énergie, en améliorant l’efficacité énergétique ou en remplaçant des usages du gaz par des renouvelables) et à diversifier les importations, notamment via le GNL.

Augmenter la production des derniers gisements de gaz fossile de l’Union Européenne ?

Mais l’Union Européenne envisage également d’augmenter sa propre production de gaz. Cela pourrait passer par une hausse de production des derniers gisements de gaz fossile exploités. La Commission Européenne milite pour une telle augmentation pour le champ gazier de Groningue aux Pays-Bas, qui ne produira que 4,5 milliards de mètres cube cette année (contre 50 milliards voici 10 ans). Mais le gouvernement néerlandais, qui veut toujours le fermer en 2028, refuse cette hausse.

Le Danemark, en revanche, a accepté de booster temporairement l’exploitation de ses champs gaziers en Mer du Nord : "Nous allons augmenter la production de gaz naturel en mer du Nord pour une période limitée. Nous sommes convaincus qu'il est préférable de produire du gaz en mer du Nord plutôt que de l'acheter à Vladimir Poutine", a ainsi déclaré, ce 19 avril 2022, la Première ministre danoise Mette Frederiksen lors d'une conférence de presse.

Miser sur le biogaz

Autre piste : investir plus largement sur la filière biogaz, mature, renouvelable et ne nécessitant que des investissements locaux et modiques - pour une production, elle aussi, locale et à échelle des territoires où elle s’implante.

Mais les possibilités d’accélération d’une filière déjà dynamique ne sont pas extensibles, notamment parce que les équipements (méthaniseurs et raccordements au réseau de gaz) et les professionnels capables de les installer ne peuvent pas se multiplier d’un claquement de doigt.

Valoriser le gaz des gisements de charbon

Dernière piste, qui ne pourra, elle aussi, que servir de complément, mais dont le potentiel est certain : valoriser le gaz enfermé dans les gisements de charbon fermés. Cette idée est particulièrement en vogue dans les bassins miniers des Hauts-de-France, du Grand Est et de Belgique, avec un industriel en pole position sur ce dossier, la Française de l’Energie (FDE).

En la matière, il faut bien distinguer entre deux technologies. La première consiste à capter le grisou, du gaz resté enfermé dans des mines désormais scellées. Composé à 90 % de méthane, il doit de toute façon être dégazé progressivement dans l’atmosphère, participant ainsi à la pollution sans être valorisé.

Capter le grisou enfermé dans les mines fermées des Hauts-de-France ou de Belgique

D’où l’idée, développée la société Gazonor, ancienne filiale de Charbonnages de France, passée sous le contrôle de la FDE, de capter ce grisou et de le valoriser. Cinq puits sont actuellement en exploitation, et permettent de produire 76 millions de m³ par an, dont 36 millions réinjectés dans le réseau de gaz et 40 millions transformés, par cogénération, en chaleur et en électricité. A titre de comparaison, la consommation européenne totale de gaz est d’environ 400 milliards de m³ par an.

Le réseau de chaleur de Gazonor fournit 6 500 foyers à Béthune, qui économisent chacun environ 35 % sur leurs factures de chauffage par rapport à une chaudière à gaz, et fournit une production électrique équivalente à dix éoliennes.

Gazonor veut accélérer la valorisation du grisou, mais se heurte à une réforme du code minier

La société, qui exploite également le grisou d’un ancien puits de mine à Anderlues, en périphérie de Charleroi, en Belgique, veut étendre ce dispositif pour valoriser, à terme, le méthane de tous les anciens puits des Hauts-de-France compatibles avec cette technologies. En mars 2022, Gazonor a ainsi transmis à l'administration deux demandes d'autorisation d'ouverture de travaux miniers (DAOTM) correspondant à six sites, soit 30 millions d'euros d'investissement.

Mais elle se heurte pour l’instant à une réforme récente du code minier, le 25 aoûr 2021, qui précise que si un exploitant souhaite utiliser des équipements de surveillance ou de prévention des risques transférés à l'Etat, « le demandeur reprend alors l'intégralité des responsabilités dévolues à l'Etat […] sur l'ensemble de la zone considérée ».

Dit autrement : si Gazonor veut récupérer le grisou d’une mine, la société doit assumer l’ensemble des risques liées à cette mine, émanations de gaz de mine, mouvements de terrains ou combustion des terrils. A la grande colère de son président, Julien Moulin : « Ce transfert de responsabilité intolérable et insensé imposé par l'Etat […] résonne comme un obstacle sans précédent au développement d'une énergie de récupération par un concessionnaire, dans un contexte d'urgence climatique ». Affaire à suivre, donc.

Récupérer le gaz « de couche » dans des gisements de charbon vierges

La seconde technologie consiste à récupérer du gaz dit « de couche » dans des veines de charbon qui n’ont pas été creusées. Elle s’applique à des territoires, comme la Moselle (Grand-Est), où les mines ont été noyées à la fin de leur exploitation.

Pour valoriser ce gaz non conventionnel en Moselle, la FDE veut effectuer des forages verticaux de 1 000 mètres de profondeur en moyenne, qui prendront à cette profondeur une direction horizontale afin de déployer des drains. Pour faire remonter le gaz à la surface, une dépression serait alors créée par aspiration de l'eau.

Silence de l’État sur la demande de concession

Après cinq forages-tests entre 2009 et 2018, la FDE a déposé une demande de concession en 2018, à laquelle l’État n’a toujours pas répondu. «Ce projet se situe donc en périphérie du bassin houiller, sur le secteur de Faulquemont et de Saint-Avold, où les veines de charbon n'ont pas encore été exploitées», expose Pascal Mittelberger, président de la FDE.

Il rappelle que cette technologie n’a rien à voir avec le gaz de schiste, et ne provoque pas les mêmes dommages environnementaux : «Nous n'avons pas recours à la fraction hydraulique, elle est interdite en France, donc il n'y a aucun risque d'affaissement en surface. Quand on navigue à 1.000m de profondeur, la largeur du forage fait 15cm. Il est donc impossible de causer ce type de désordre géologique », défend le président de FDE

Crainte des populations

Reste que cette technologie suscite davantage d’oppositions que l’extraction du grisou. D’abord parce qu’il ne s’agit pas de valoriser un gaz qui aurait été de toute façon rejeté à terme dans l’atmosphère, mais d'aller chercher un combustible fossile dans un sous-sol où il pourrait dormir pour encore des millénaires (le procédé n’est donc pas « vert ») - et qu’il s’agit donc de créer de nouveaux sites industriels, pas de valoriser un site existant et n’ayant aucune autre utilité. Ensuite par la crainte, pour les populations locales, de pollutions des nappes phréatiques ou d’affaissement de terrain, et d'une baisse de valeurs immobilière des propriétés proches des sites d’exploitation.

L'Union Européenne recèle d’autres projets de valorisation du gaz des mines de charbon, comme en Belgique, où un centre de recherche soutenu par des industriels envisage d’utiliser le grisou prisonnier dans les mines pour produire de l’hydrogène neutre en carbone (rappelons que la quasi-totalité de l’hydrogène produit dans le monde l’est par fracturation du gaz naturel, une technologie fortement émettrice de CO2).

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