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L’Espagne fournit de plus en plus de gaz au Maroc par le GME

Espagne Maroc GME GNL gazoduc
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L’inversion du Gazoduc Maghreb-Europe permet depuis plusieurs mois à l’Espagne de fournir du gaz fossile, acheté sur les marchés internationaux, au Maroc à un prix compétitif – sans utiliser la moindre molécule de gaz algérien, comme le garantit Enagás, opérateur espagnol du réseau de gaz. Le Maroc a par ailleurs entamé de grands chantiers pour renforcer ses infrastructures gazières nationales (terminal GNL, gazoduc traversant tout le pays…) : le pays disposant d'importantes réserves de gaz non exploitées, il pourrait bien devenir un exportateur net à moyen terme.

 Une analyse du journal espagnol The Objective a révélé, mi-avril 2023, l’augmentation graduelle des livraisons de gaz fossile au Maroc par l’Espagne, via le gazoduc Maghreb-Europe (GME). En trois trimestre, elles ont été multipliées par 12 – ou « augmentées de 1 200 % », pour reprendre le chiffre spectaculaire utilisé par le journal.

L’Espagne et le Maroc se mettent d’accord pour inverser le flux du GME

A l’automne 2021, l’Algérie avait rompu le contrat de fourniture de gaz par le GME la liant à l’Espagne et au Maroc. En pleine crise diplomatique avec Rabat, Alger voulait ainsi cesser de rémunérer le royaume en gaz pour utiliser la portion marocaine du gazoduc. Le Maroc se retrouva alors contraint de fermer ses centrales à gaz, et rouvrir ses centrales au charbon.

A la suite d’une valse diplomatique complexe, l’Espagne a fini par se rapprocher du Maroc, s’alignant sur les positions de Rabat sur le Sahara occidental (pomme de discorde historique avec l’Algérie). En février 2022, les deux pays signaient un accord permettant d’inverser le flux du GME, afin que l’Espagne puisse livrer du gaz fossile au Maroc.

Des volumes de gaz livrés au Maroc en constante hausse depuis juin 2022

Depuis, les flux n’ont cessé d’augmenter, graduellement : 60 GWh en juin 2022, date d’ouverture du GME en « flux inversé », 172 GWh en juillet, 119 GWh en août, 123 GWh en septembre, 328 GWh en octobre, 553 GWh en novembre, 527 GWh en décembre, 536 GWh en janvier 2023, 680 GWh en février, et enfin 820 GWh en mars 2023.

Selon les analystes, l’un des principaux facteurs de cette hausse est l’exception ibérique, accordée par l’Union européenne au Portugal et à l’Espagne en raison de leur faible interconnexion avec le reste du réseau électrique européen : elle leur permet de plafonner les prix du gaz destiné à produire de l’électricité. Le dispositif a d’ailleurs récemment été prolongé d’un an.

L’exception ibérique profite aussi au Maroc

Or, la législation espagnole permet d’étendre ce dispositif au Maroc – c’est d’ailleurs pour cela que les volumes échangés sont exprimés en MWh, car ils correspondent en fait à un potentiel de production électrique.

« Le royaume alaouite étant considéré comme un acheteur parmi d'autres sur le territoire national, le financement de l'exception ibérique lui est répercuté comme s'il s'agissait d'un consommateur dans notre pays », peut-on ainsi lire dans l’article de The Objective.

Le Maroc a de plus la possibilité d’arbitrer. A chaque heure d’achat, il dispose du prix du gros du gaz en Espagne, et peut le comparer aux tarifs de sa propre électricité, et ainsi n’activer d’importations que lorsque le prix est intéressant pour lui.

L’Algérie refuse que du gaz algérien soit livré au Maroc

L’autre contrainte, que n’évoque pas l’article, est celle du volume de gaz disponible sur le territoire espagnol, et les niveaux d’importations par GNL réalisés par Madrid. Nul doute que le remplissage rapide de ses réserves durant l'automne 2022 et les économies d’énergie réalisées cet hiver ont permis à l’Espagne de disposer de plus de marges, et donc d’un gaz meilleur marché à fournir potentiellement à son voisin marocain.

L’Algérie, de son coté, continue de livrer du gaz fossile à l’Espagne, via le gazoduc Medgaz et par GNL. Mais, dès l’annonce d’une possible utilisation du GME pour livrer du gaz au Maroc, Alger a prévenu : pas une goutte de gaz algérien ne devrait être fourni au Maroc, sous peine de rupture immédiate des exportations algériennes vers l’Espagne.

Madrid a indiqué que tout le gaz livré au Maroc proviendrait de GNL acheté sur les marchés internationaux, en particulier aux États-Unis. Le gestionnaire du réseau de gaz espagnol Enagás dispose en effet d'un système complexe de mesure de chaque molécule de gaz transportée. Cela lui permet de s'assurer que les hydrocarbures envoyés au Maroc ne proviennent pas de gisements algériens.

Le Maroc renforce ses infrastructures gazières

Au-delà de ces livraisons espagnoles, le Maroc continue de renforcer ses infrastructures gazières, afin de tourner la page du charbon dans la production électrique et de pouvoir valoriser ses propres réserves gazière.

Le pays a ainsi mis en chantier une usine flottante de GNL, permettant de regazéifier le gaz liquéfié, mais aussi de liquéfier du gaz. Il a également lancé la construction d’un gazoduc de 1 100 kilomètres, qui permettra de relier entre elles les principales villes marocaines : cette infrastructure facilitera l’alimentation des centrales électriques au gaz maillées sur tout le territoire, mais aussi l’exportation de gaz vers l’étranger.

Le Maroc dispose de réserves conséquences de gaz fossile

L’ONG Global Energy Monitor a par ailleurs publié, mi-avril 2023, un rapport sur la production de gaz en Afrique, qui indique que 84 % des réserves trouvés sur le continent sont situés dans des pays qui n’exploitaient pas jusqu’ici le gaz fossile (Mozambique, Sénégal, Tanzanie, Mauritanie, Afrique du Sud, Ethiopie et Maroc). Ces pays pourraient à moyen terme dépasser les géants régionaux historiques, le Nigéria, l'Égypte, la Libye et l'Algérie.

Selon Global Energy Monitor, le Maroc disposerait de réserves de 39 milliards de mètres cubes de gaz, soit le deuxième plus grand volume de réserves d'Afrique. Le pays a par ailleurs signé des accords avec des géants du secteur comme Shell ou Total pour exploiter ce potentiel.

De quoi produire plus de gaz que sa consommation nationale et en faire l’une des têtes de pont de la nouvelle génération des pays africains exportateurs de gaz fossile. Pour le meilleur – et peut-être aussi le pire.

 

  

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