Actualités sur le gaz : exploration et extraction, acteurs, technologie, consommation, ...

Les achats groupés de gaz fossile, un mécanisme efficace pour l’Union européenne ?

gaz fossile achats groupés Union européenne appel d'offre
Rédigé par

L’Union européenne a lancé, le 10 mai 2023, son premier appel d’offre du nouveau dispositif d’achats groupés de gaz fossile, via une plateforme permettant aux acheteurs européens et aux vendeurs internationaux de se retrouver. L’objectif est de tirer les prix vers le bas, et de permettre à des entreprises européennes d’entrer en relation avec de nouveaux fournisseurs. Les États membres seront même obligés d’utiliser ce mécanisme pour remplir 15 % de leur stockage obligatoire de gaz fossile. Si la Commission européenne se félicite d’un premier appel d’offre globalement conforme à ses attentes, des effets pervers pourraient venir limiter l’intérêt du dispositif.

Le 19 décembre 2022, le Conseil européen des ministres de l’Énergie a adopté trois règlements pour répondre à la crise énergétique qui a secoué l’année 2022, et notamment pour éviter une novuelle flambée des prix du gaz fossile.

L’Union européenne a validé, mi-décembre 2022, le principe d’achats groupés de gaz fossile

L’un de ces règlements mettaient notamment en place un mécanisme d’achats groupés de gaz fossile par les États membres, via un prestataire de service externe de mise en relation avec les vendeurs internationaux.

Les contours et l’utilité de ce mécanisme furent âprement discutés, certains États, dont l’Allemagne, doutant de son efficacité. Berlin avait en effet fortement contribué à l’explosion des cours du gaz à l’été 2022 par sa volonté d’en acheter à tout prix, y compris en concurrençant d’autres pays européens.

Le gouvernement allemand semblait donc simplement vouloir conserver les avantages de sa puissance financière, afin de rafler, en cas de besoin, le gaz dont elle avait besoin, et ne pas participer à des achats communs.

Un objectif de 15 % des objectifs de stockage couverts par des achats groupés

Au final, le principe fut acté, avec une obligation réglementaire : chaque État membre doit, au cours de l’année 2023, utiliser ce mécanisme d’achats groupés pour combler au moins 15 % de son objectif de remplissage des stockages de gaz à 90 % au 1er novembre 2023. Soit un total, sur l’ensemble de l’Union européenne, de 13,5 milliards de m³ de gaz fossile.

Cet objectif est-il réaliste ? Les débuts de la plateforme d’achats groupés sont encourageants, mais pas tout à fait au niveau escompté par l’exécutif européen. Fin avril 2023, le service ouvrait, pour constituer un premier appel d’offre agrégeant les demandes de plusieurs acteurs européens.

Lancement du premier appel d’offre, avec 77 entreprises auropéennes

Le 10 mai 2023, la Commission européenne lançait ce premier appel d’offre. « La réponse du marché a été positive et encourageante […] 77 entreprises européennes ont soumis des demandes pour un volume total de quelque 11,6 milliards de mètres cubes de gaz », s’est félicité le vice-président de la Commission européenne Maroš Šefčovič.

Ce premier tour atteint ainsi 11,6 milliards de m³ de gaz, en dessous des 13,5 milliards de m³ escomptés, répartis en une demande de 2,8 milliards de m3 de GNL et de près de 9,6 milliards de m3 via gazoduc, pour des livraisons entre juin 2023 et mai 2024.

« Accroître notre sécurité énergétique et lutter contre les prix élevés du gaz »

« C’est une étape historique: nous tirons parti du poids économique collectif de l’UE pour accroître notre sécurité énergétique et lutter contre les prix élevés du gaz », a ajouté Maroš Šefčovič. Il indique que « tous les fournisseurs internationaux fiables » (comprendre : sauf la Russie…) ont jusqu’au 15 mai pour présenter leurs offres chiffrées.

Le vice-président de la Commission a aussi précisé qu’une centaine de ces fournisseurs internationaux avaient déjà manifesté un intérêt pour ce nouveau marché. Ce mécanisme doit selon lui aider les entreprises européennes, en particulier dans les industries énergivores, à « nouer de nouvelles relations commerciales avec des fournisseurs alternatifs ». Le mécanisme permet aussi aux petites entreprises, PME ou ETI, de se grouper pour obtenir un poids accru sur le marché du gaz.

De nouveaux appels d’offre de ce type seront lancés tous les deux mois jusqu’à la fin de l’année. L’achat groupé est ouvert aux entreprises des Vingt-sept, mais aussi aux pays de la « Communauté européenne de l’Énergie », qui regroupe Ukraine, Albanie, Bosnie, Kosovo, Macédoine du nord, Géorgie, Moldavie, Monténégro et Serbie. Elles pourront ainsi agréger leurs demandes.

Quelle efficacité pour ces achats groupés de gaz ?

Mais la question reste entière : ce mécanisme sera-t-il efficace ? En effet, la plateforme va permettre à des vendeurs internationaux de proposer des prix de vente de GNL ou de gaz par gazoduc pour des volumes donnés. Chacune des 77 entreprises participantes se verra donc proposer des offres d’achat aux prix proposés par ces vendeurs.

Si une des offres l’intéresse, l’entreprise peut alors entrer en contact avec le fournisseur. Mais il faudra ensuite en passer par des négociations de gré à gré pour finaliser un éventuel contrat. Milan Šefčovič est dans son rôle quand il déclare que ces négociations « déboucheront, espérons-le, sur des contrats commerciaux » et potentiellement sur des relations à plus long terme.

« Les grands acteurs pourraient ne pas être intéressés à faire partie de cette initiative »

Mais rien, dans le mécanisme, ne le garantit. Les vendeurs internationaux seront-ils intéressés pour répondre à ces appels d’offre plutôt que de vendre leur gaz à d'autres, ou aux mêmes, mais par un autre biais ?

« La grande question pour moi est de savoir si cela fonctionnera réellement pour attirer des volumes significatifs parce que nous savons que les grands acteurs pourraient ne pas être intéressés à faire partie de cette initiative », synthétisait Simone Tagliapietra, du groupe de réflexion économique Bruegel, dans un entretien à Euractiv.

Milan Šefčovič compte sur le rôle de l’Europe dans les marchés mondiaux du gaz pour convaincre des fournisseurs internationaux de se tourner vers ce mécanisme. Qui plus est, la Commission « mâche » le travail de « prospection de marché » de ces fournisseurs en leur livrant gratuitement des offres agrégées de petits acteurs européens.

Vers du gaz « plus cher et pas en quantité suffisante » ?

Mais l’obligation d’utiliser les achats groupés à hauteur de 15 % des besoins de stockage pourrait aussi se retourner contre l’Union européenne. Si des fournisseurs ne présentent que des tarifs plus élevés que les marchés internationaux, tout au long de l’année, les entreprises seront-elles forcéesd' acheter ?

« Il s’agira d’une concurrence avec des vendeurs qui ne seront peut-être pas disposés à vous fournir le gaz à un prix réduit. En fin de compte, je suis prêt à parier que la plateforme fournira du gaz plus cher et pas en quantité suffisante », estime par exemple Thierry Bros, expert du marché du gaz, à EURACTIV.

Alors, bouée de sauvetage, coup d’épée dans l’eau ou usine à gaz aux effets potentiellement pervers ? L'avenir nous le dira.

0 Commentaires

Laisser un commentaire

À la Une aujourd'hui