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GNL américain : l'Europe entre urgence climatique et sécurité de l’approvisionnement

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Face au défi de compenser la perte des importations de gaz russe, l’Union européenne s'inquiète des hivers 2023-2024 et 2024-2025, qui devraient s’avérer particulièrement tendus. Les livraisons par gazoduc étant proches de leur maximum, se tourner vers le GNL semble la seule option, et les États-Unis le partenaire naturel pour assurer cet approvisionnement. Pour autant, les infrastructures américaines de liquéfaction fonctionnent actuellement à flux tendu, ce qui pose la question de l'éventuelle construction de nouvelles installations, qui ne pourraient être opérationnelles avant la fin de la décennie, et qui imposerait la signature de contrats à long terme par les pays européens. Sachant l’impact climatique désastreux du GNL américain (sans doute le pire du monde) et devant l’urgence climatique, la question est brûlante.

Sacrifier les engagements climatiques à la sécurité de l’approvisionnement énergétique ? Durant l’année 2022, l’Union européenne n’a pas vraiment hésité : face à la baisse drastique des livraisons de gaz russe, les pays les plus dépendants ont du faire feu (ou plutôt gaz...) de tout bois.

Face aux baisses de livraisons de gaz russe, que va faire l’Union européenne pour les prochains hivers ?

Recourt accru au charbon (voire au fioul), importations massives de GNL ultra-polluant, nécessité a fait loi. En cette fin 2022, les réserves de gaz sont pleines, de quoi envisager le prochain hiver avec un relatif optimisme.

Mais l’horizon le plus problématique est plus lointain, dès les hivers 2023-2024 et 2024-2025, et, à moyen terme, d’ici la fin de la décennie. Comment remplir à nouveau les réserves sans gaz russe ou presque (Nord Stream 1 étant parfaitement hors-service) ?

Le GNL, seule voie de recours

Les livraisons par gazoduc sont proches de leur maximum, notamment depuis la Norvège et l’Algérie, seul l’Azerbaïdjan pourrait peut-être augmenter sa fourniture de gaz vers l’Europe.

Mais les marges sont étroites, et l’approvisionnement européen devra passer largement par le recours au GNL – de quoi laisser présager, dans les mois qui viennent, un fort rebond des prix sur les marchés mondiaux, après la baisse conjoncturelle des dernières semaines.

Or, les contrats signés sur le long terme limitent les capacités de hausse de livraisons de nombreux pays exportateurs, à l’exception du Qatar et, dans une moindre mesure, des États-Unis.

A court et long terme, la stratégie européenne semble gravée dans le marbre...

C’est vers l’allié américain que se tournent tous les regards. La diplomatie européenne saura-t-elle trouver de nouveaux mécanismes pour obtenir de l’Oncle Sam des tarifs raisonnables pour son GNL ? A quel point la géopolitique peut influer l’économique ?

Mais si la question des deux prochains hivers est la plus pressante, c’est la stratégie de l’Union européenne à moyen terme qui pose le plus question. Sur le long terme, pas de doute : avec une neutralité carbone en 2050, l’UE est censée abandonner progressivement le gaz fossile.

… mais que faire à moyen terme ?

Mais à horizon 2030, l’Union européenne doit-elle débloquer de nouvelles ressources de gaz ? Pour l’heure, la volonté de négocier tout azimut avec les pays producteurs, notamment en Afrique (Algérie, Mozambique, Sénégal, Angola, République démocratique du Congo…) ou au Moyen-Orient (Israël, Qatar), pour qu’ils augmentent leurs capacités de production, tend à prouver que la peur du manque mène les décisions européennes.

Mais la question de l’impact climatique du gaz fossile et de ces nouveaux forages se posent fatalement, particulièrement en plein coeur de la COP27, qui se tient actuellement en Égypte. Et c’est à cette question que Cheniere, principal exportateur de GNL états-unien, presse l’UE de répondre.

Cheniere, premier exportateur de GNL états-unien, va augmenter ses capacités de liquéfaction

Dans un entretien à Euractiv, Corey Grindal, vice-président exécutif en charge du commerce international chez Cheniere, pose bien les termes du problème. Pour faire face à la hausse de la demande de GNL, en particulier en provenance d’Europe, le groupe a poussé à son maximum ses capacités de liquéfaction, et a décidé, en juin 2022, un investissement de 8 milliards de dollars pour accroître sa capacité d’exportation de 10 millions de tonnes supplémentaires par an.

Les livraisons de GNL américain devraient ainsi atteindre les 50 milliards de m³ en cette année 2022, devenant le premier fournisseur de l’Union européenne (en 2021, la Russie avait fourni 80 milliards de m³ à l’UE).

Corey Grindal rappelle aussi qu’à court terme, l’Union européenne semble piégée : « lorsque vous regardez les 12 à 24 prochains mois, de manière réaliste, il n’y a pas de nouvelle capacité de liquéfaction qui puisse être opérationnelle. Et ce, à l’échelle mondiale », affirme-t-il.

La main tendue de Cheniere à l’Europe

L’Union européenne va donc devoir trouver des alternatives à court terme. S’il s’agit de sobriété et d’efficacité énergétique, de recours accru aux renouvelables (y compris au gaz renouvelable), ces solutions vont réduire les besoins sur le long terme, et n’imposeraient pas le recours à de nouvelles sources d’approvisionnement d'ici la fin de la décennie.

Mais si la solution est de faire tourner des centrales électriques au charbon ou au fioul, miser sur de nouvelles sources d’approvisionnement en gaz fossile à moyen terme est raisonnable d’un point de vue climatique.

Or, Cheniere est prêt à investir pour augmenter encore sa capacité de liquéfaction. Mais en échange de garanties. Corey Grindal compare avec la future nouvelle usine, déjà évoquée : « cette installation coûte 8 milliards de dollars. Vous pouvez donc voir les fonds nécessaires, et la raison pour laquelle nous recherchons cette certitude sur le long terme auprès de parties solvables pour pouvoir soutenir la construction de ces installations ».

Pour disposer de davantage de GNL US, l’Union européenne devra se résoudre à signer des contrats à long terme

En clair : si l’Union européenne veut plus de GNL américain à la fin de la décennie, c’est possible, mais uniquement avec des garanties, qui ne peuvent prendre que la forme de contrats sur le long terme. Or, la Commission européenne et les États membres sont très réticents à signer de tels contrats, surtout dans un contexte de transition énergétique.

« Sur le long terme, nous sommes prêts à nous développer — avec les bons contrats qui justifient la construction de ces installations très grandes et coûteuses », indique M. Grindal.

Les États membres font également face à la pression de la société civile et des ONG environnementales, qui les encouragent à réduire les émissions de CO2. Or, le GNL américain est sans doute le gaz à l’impact climatique le plus désastreux du marché.

L’urgence climatique pèsera-t-elle suffisamment dans la balance ?

Il est en effet produit à partir de gaz de schiste, produit par fracturation hydraulique, une technique extrêmement polluante, auquel s’ajoute les inévitables pertes dans les processus de liquéfaction et de regazéification, ainsi que les fuites de méthane.

Au-delà des considérations géopolitiques et économiques, un MWh de GNL américain émet ainsi considérablement plus de gaz à effet de serre qu’un MWh de gaz norvégien, algérien, azéri (ou russe…) livré par gazoduc.

L’Union européenne va-t-elle profiter de cette urgence pour faire preuve d’un courage politique inédit, et se contraindre à réduire sa consommation de gaz fossile d’ici 2030 (et donc refuser la main tendue de Cheniere), ou sacrifier, mais cette fois sur le long terme, ses engagements climatiques à sa sécurité d’approvisionnement énergétique ?

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